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unique ostensoir. Ah ! dans les belles églises de France, les pompes religieuses sont pleines de splendeur : l’or, les cristaux, les lumières éblouissent les yeux, tout s’adresse à l’imagination ; mais ici tout parle au cœur et le transporte, ému et plein d’amour, aux pieds de son Dieu.

Tous les dimanches, à dix heures, se célébrait une messe en musique, car nous avions organisé un chœur de chant qui était vraiment remarquable. À trois heures, la population se réunissait pour réciter le chapelet ; puis nous chantions les vêpres, suivies de la bénédiction du saint sacrement. La veille de Pâques, je voulus que notre chapelle se parât et prît un air de fête ; j’empruntai tous les châles, les étoffes et les chandeliers de Castroville, et même deux petites portes pour construire des autels latéraux. Les rideaux de mousseline et les châles servaient de tentures. Je fis des vases avec du bois tourné, que je dorai, et de la mousse ; j’y mis des fleurs de toute grandeur et de toute couleur cueillies dans les bois et les plaines. Les chandeliers polis et luisans brillaient parmi les nuances diverses des fleurs et des tentures. Nos colons furent tout étonnés de tant de magnificence. Le lendemain, tous les catholiques de la ville et des fermes assistèrent à l’office dans un profond recueillement, agenouillés sur la terre et les hautes herbes durant de longues heures, la tête découverte, et ne songeant pas au soleil accablant qui leur brûlait le front. Pauvre peuple isolé, que ta piété était vive, sincère et touchante ! Le Tout-Puissant a dû, ce jour-là, regarder avec bonté le coin de terre où tu priais.

Je reçus à cette époque une lettre de mon évêque : celui-là aussi pourrait faire un beau livre de ses travaux et de ses misères ! Les évêques missionnaires et leurs prêtres, beaucoup l’ignorent sans doute, ne reçoivent aucun traitement ni du gouvernement, ni de l’église, ni de personne. Leurs seules ressources pour leurs voyages, leur existence, leur entretien, la construction des églises, hôpitaux, couvens, séminaires, sont leur propre industrie, les dons de leurs familles, qui en général sont pauvres, la charité publique ou privée, et quelques secours de la Propagation de la foi : c’est bien peu de chose en face de besoins si grands et si nombreux. Les recettes de la Propagation de la foi, depuis sa fondation jusqu’en 1844, c’est-à-dire en vingt-deux ans, ont été d’environ 25 millions. La société biblique anglaise, qui n’existe que depuis peu d’années, avait déjà dépensé en 1851 plus de 94 millions, sans compter les sommes énormes affectées aux missions de l’Inde. Cette différence devrait faire honte à l’incurie, à la tiédeur des catholiques européens. Dieu du moins protège nos missions à défaut des hommes, il récompense nos fatigues par le succès ; mais le dénûment des missionnaires est