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soir, et n’y vîmes que des groupes de gens ivres, criant et discutant, doublement échauffés par le vin et la parole. Je n’osais passer la nuit en pareille société ; mais on me dit : « Ne faites pas attention, c’est un jour d’élection. Il y a plus de bruit que de mal. » Dans la chambre de l’auberge étaient des gens avinés, qui faisaient de la politique cigare à la bouche et verre en main. Quand notre musicien parut dans la salle, ils poussèrent des hourras, et, se levant, lui crièrent de les faire danser. Je profitai du mouvement pour m’emparer d’un lit ; mais, prévoyant des scènes dont je ne pouvais mesurer ni la durée ni les conséquences ; je n’osai me déshabiller, et j’attendis pestant contre la politique, le vin et les violons. Le musicien déclara que son instrument ne pouvait aller tant que son gosier était sec, mais qu’il irait aussi longtemps que son gosier serait humide. Nouvelle salve de hourras. On charge la table de bouteilles de vin et de brandy. Aussitôt des valses et des danses américaines sortent du violon avec des accens criards et des discordances impitoyables. Les électeurs sautaient, se démenaient, tournaient, hurlaient à briser le tympan d’un homme sourd. Après trois heures de sabbat une corde du violon se brisa par bonheur ; musique et danse s’arrêtèrent, et mes gens s’en allèrent chancelans. Je me déshabillai promptement et j’éteignis la chandelle. J’allais m’endormir, quand quelque chose tomba lourdement sur moi. Effrayé, à demi écrasé, je tâtai ; je sentis des habits, des cheveux, un nez, un violon : c’était le musicien, qui, ivre comme un électeur, avait donné sur le lit. Je me débarrassai de cette avalanche et me réfugiai dans le lit vacant.

À trois heures de l’après-midi, j’étais à San-Antonio : une grande place ; au milieu, une église aux murs épais, avec une tour massive et carrée et une petite coupole au-dessus du chœur ; à l’entour, des alignemens de larges maisons de pierre, à toits plats et à terrasses, blanchies à la chaux, avec des ouvertures rares et petites ; çà et là quelques lilas de Chine ; des rues droites, mais sales ; des cours et des jardins potagers où croissent, sans culture et sans ordre, le lilas, le figuier, le pêcher et le grenadier. La pierre remplace peu à peu, dans les constructions, les roseaux, la boue séchée et les briques des cabanes. Les habitans ne dépassaient guère, à cette époque, le chiffre de trois mille, la plupart Mexicains. Le costume des hommes est pittoresque et gracieux, quoique moins riche et moins propre que dans l’intérieur du Mexique. Le chapeau à larges bords porte des ornemens d’argent ; la veste est courte et garnie de boutons d’argent ; lorsqu’elle est en peau de daim, les manches sont ouvertes jusqu’aux coudes. Point de gilet ; le pantalon, également garni de boutons d’argent, est ouvert jusqu’aux hanches, mais toujours