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moyens aux ressources matérielles dont dispose actuellement la science. Les navigateurs anglais narguent l’hiver des pôles au fond de leurs cabines bien chaudes, bien construites, bien avitaillées ; ils charment la longueur des nuits arctiques en se livrant à toute sorte d’exercices et de récréations. À terre, ils installent un théâtre et jouent la comédie dans ces mêmes solitudes où les pauvres compagnons de Barendz mouraient de froid, de faim et de misère sous la hutte. Ils ont à leur service la vapeur. Les glaçons eux-mêmes n’arrêtent plus leur marche dans les mers solides. Au lieu de scier lentement et péniblement ces blocs, ils appellent à leur secours un auxiliaire depuis longtemps utilisé dans les mines, la poudre ; à l’aide de cette substance explosible qu’ils introduisent dans les trous de la glace et qu’ils bourrent, ils font sauter devant eux l’obstacle, entr’ouvrent la croûte de l’océan, et nettoient ainsi une étendue considérable en une seule journée.

Ouverte au mois de mai, la pêche de la baleine se terminait généralement à la fin de juin. Quelques aventuriers la recommençaient pourtant à l’automne[1]. Les navires qui n’étaient pas retenus dans les glaces reprenaient ensuite le chemin du Helder. Cette vie de dangers, de sauvage indépendance, de lutte avec les rigueurs de la nature septentrionale, avec les plus terribles animaux, avait pour nous un charme qu’on ne remplace guère. Moi, qui me fais vieux, je suis comme l’ours blanc transporté dans nos ménageries : j’ai le mal des glaces. Au milieu des loisirs d’une existence tranquille et relativement heureuse, je regrette nos courses infinies, traversées par des périls sans nombre ; je regrette le majestueux mouvement des nuages, le bruit assourdissant des glaçons contre les glaçons, la vue des pics noirs et marbrés, de neige, les joyeux entretiens de nos compagnons, les fêtes de l’équipage après une chasse fructueuse, et surtout l’émotion qui nous chatouillait le cœur, quand au retour nous apercevions les côtes plates de la Hollande…

  1. Les mêmes tribus de baleines qui ont profité au printemps de l’ouverture des mers arctiques pour se répandre dans l’immensité des eaux regagnent en automne leur citadelle, avant que l’entrée n’en soit fermée par l’hiver.