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Eux-mêmes perdent leur assurance et manquent les bonnes occasions d’attaquer le monstre. À la pêche de la baleine, le moral est tout. C’est une des raisons peut-être pour lesquelles les Hollandais ont si bien réussi dans ce genre d’entreprises. Ils ne se découragent pas. Les qualités dominantes du caractère néerlandais, le sang-froid, la valeur personnelle, la patience, se greffaient merveilleusement sur cette branche d’industrie.

Une fois tuée, la baleine est conduite vers le navire, remorquée par les chaloupes, qui rament l’une devant l’autre, comme un atelage de chevaux. On la fixe alors avec des cordes à la proue du bâtiment. Encore faut-il bien l’attacher. La négligence sur ce point a plus d’une fois donné lieu à de curieux mécomptes. Depuis 1815, grâce à la prime, une seule baleine suffit à défrayer les armateurs et les matelots des dépenses du voyage. Dans ces dernières années, un bâtiment qui avait réussi à prendre un de ces grands cétacés revenait tout fier de sa capture. Les gens de l’équipage se livraient à la joie. La sécurité était complète, on naviguait à une grande distance des bancs de glace. Le capitaine et les matelots trouvèrent bon d’arroser le triomphe d’un verre d’eau-de-vie et de se fortifier le cœur par un régal de mer, avant de se livrer au fastidieux ouvrage du dépècement. La fête se prolongea. Enfin le coupeur (speksnyder) avec un air d’importance et une confiance parfaite, monta sur le pont. Tandis que ses camarades s’abandonnaient encore au plaisir, il alla, lui, jeter le coup d’œil du maître sur cette riche proie qui leur avait coûté tant de fatigues. Quel fut son étonnement ! La baleine n’y était plus ! Il regarde à la poupe, à la proue, sur les bords : rien, plus rien ! Le navire, chassé avec vitesse par le vent, avait pesé sur la baleine, la corde s’était rompue, et l’animal avait sombré au fond de la mer. La leçon fut bonne, et aujourd’hui de telles pertes sont rares. Quelquefois on se sert de la baleine, ou du moins de certaines parties de l’animal, comme de la tête ou de la queue pour coussiner le navire. Une telle défense amortit l’action des lames de glace qui se heurtent contre les flancs de la machine dans ces mers obstruées.

Quand les hommes de l’équipage se sont suffisamment rafraîchis avec quelques gouttes de liqueurs fortes, les rois du lard, comme on les appelle dans notre langue maritime (spek-koening), les pieds armés de pointes de fer qui les empêchent de glisser, descendent sur la baleine. Deux bateaux chargés de couteaux, de tranchoirs et d’autres instrumens, les accompagnent Le travail de ces hommes a souvent été prévenu par certains oiseaux de mer, qui, au moment même où la baleine est blessée, s’attachent sur cette proie encore vivante, plongent le bec dans les blessures du monstre et se