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après, la glace s’amollit, et le navire fut remorqué par des chaloupes dans la direction de l’est. Après avoir péniblement manœuvré durant quatre jours et à force de rames, les marins rencontrèrent à l’extrémité du banc quatre autres navires qui étaient encore cernés. Assaillis par une tempête et par une chaîne de collines mouvantes qui s’élevaient à la hauteur de vingt ou trente pieds, ce groupe de voiles fut horriblement maltraité. Trois navires sombrèrent. La Wilhelmina elle-même fut mise en pièces par la chute d’une énorme masse qui se détacha. L’événement fut si subit, que les hommes du vaisseau qui étaient dans leur lit eurent à peine le temps de se sauver à demi nus sur la glace. Il ne restait plus alors qu’un bâtiment, dans lequel les équipages des vaisseaux perdus vinrent chercher un refuge. Vers le commencement d’octobre, ce dernier navire fut emporté au loin par la plaine de glace dans laquelle il était enserré, se heurta contre une autre plaine de glace et s’engloutit. Trois ou quatre cents hommes furent ainsi jetés sur la mer solide, presque sans vêtement et sans nourriture, sans même une tente pour s’abriter contre les rigueurs d’un froid polaire. On était à la fin d’octobre ; les malheureux naufragés se séparèrent. Le plus grand nombre d’entre eux gagna la terre et entreprit un voyage désespéré à travers les côtes des îles désertes. Le reste demeura sur le champ de glace, attendant que, poussé par les vagues, le radeau abordât en vue de Staten-Hoek. Ils longèrent alors dans leurs bateaux des rivages désolés. Sans abri, sans habits convenables pour les protéger contre le froid, réduits à la triste nécessité de passer d’un glaçon sur un autre pendant l’obscurité de la nuit, ils bravèrent courageusement la mort. Après avoir reçu un accueil favorable de la part des bons Groënlandais, cent quarante d’entre eux gagnèrent les établissemens danois sur la côte ouest du Groenland ; le reste, c’est-à-dire environ deux cents, avait péri. — Nous nous racontions leurs aventures dans la cabine de nos vaisseaux, autour du poêle, et de tels récits du temps passé, loin d’abattre notre courage en face des mêmes dangers, ne faisaient que ranimer notre ardeur nationale. Ces mers, pleines du nom et des exploits des Hollandais, nous imposaient l’obligation morale de ne point démériter de nos ancêtres.

Les changemens auxquels se trouvent soumis ces champs de glace sont quelquefois si extraordinaires, si capricieux, qu’ils déroutent tous les calculs des navigateurs. J’ai vu deux navires solidement fixés dans ces masses immobiles être tout à coup emportés par ces mêmes masses qui s’ébranlaient ; ils se trouvaient alors séparés l’un de l’autre par une distance de plusieurs lieues malgré l’apparente continuité dès liens qui les retenaient à la surface de l’Océan glacial. Il faut d’ailleurs faire une distinction entre ces champs de glace qui