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couchés l’un à côté de l’autre, et l’on posa des pierres sur chaque tombe pour empêcher les bêtes fauves de déterrer leurs cadavres. Autant que le permettaient les circonstances et les lieux, on leur rendit ensuite les honneurs funèbres ; une décharge d’artillerie salua une dernière fois ces courageux martyrs de la science du globe. On trouva dans la hutte des mémoires, ou pour mieux dire un journal météorologique, avec des notes curieuses et touchantes sur leur situation personnelle. Il fallait tout le dévouement et tout le courage passif des Hollandais, combiné avec leur esprit d’observation positive, pour écrire ces simples pages, qu’on ne lit point sans un serrement de cœur. Il y a surtout dans ce journal sans art, tracé par la rude main de ces hommes de mer, un détail qui revient sans cesse et qui pénètre d’un sentiment indéfinissable. Au bord de cette île déserte s’élève une montagne sur laquelle ces malheureux se rendent les jours où la neige, le vent et le froid le permettent. De cette montagne, ils regardent loin, bien loin, comme pour voir si quelque chose ne viendra point à leur secours ; mais, ajoutent-ils avec une sorte d’espérance trompée et de découragement, « nous ne voyons rien, rien que les glaces, de quelque côté que nous tournions nos yeux. »

La flottille de pêche se mit ensuite à la recherche des sept autres marins qui avaient été déposés l’année précédente au Spitzberg, c’est-à-dire neuf degrés plus avant vers le nord. Malgré d’affreuses souffrances, ceux-ci avaient tous survécu. Ce succès partiel encouragea les espérances des marchands et des armateurs. Ils firent de nouveau un appel aux volontaires de la flotte, et cette année même sept hommes remplacèrent au Spitzberg les sept qui avaient réussi à vivre. Ces infortunés tinrent également un journal qui relatait l’état du temps et aussi l’état de leurs forces, qui déclinaient. On ne sait en vérité ce dont on doit le plus s’étonner, ou de la résignation de ces hommes, ou de l’avidité des compagnies, qui cherchaient surtout dans ces expériences mortelles un moyen d’accroître la fortune de la pêche[1]. Lorsque les vaisseaux arrivèrent de la Hollande l’année suivante, les marins trouvèrent la porte de la hutte fermée. Ayant pénétré dans l’intérieur, qui était sombre, ils se heurtèrent contre des cadavres. Trois étaient dans des cercueils, les autres

  1. Si le séjour des malheureux laissés à l’île Maurice n’avait pas résolu le problème de l’acclimatation, il avait du moins répondu affirmativement sur un autre point aux espérances des compagnies. « Aujourd’hui, disent-ils dans leur journal, en allant sur la montagne, nous aperçûmes cinq baleines près du rivage, et vers le soir quatre autres dans la baie. Si nous avions été assez nombreux et si nous avions eu les instrumens nécessaires pour cette pêche, nous aurions pris de ces animaux autant qu’il en faudrait pour défrayer toute une flotte. »