Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était déjà avancée pour ces climats sévères ; les glaçons flottans s’amoncelaient : les hommes de l’équipage commençaient à murmurer et refusèrent d’aller plus loin. Willem Barendz revint.

L’année suivante, 1595, le prince Maurice et les états-généraux, partageant de plus en plus la foi des navigateurs dans l’existence d’un passage qui devait relier par le nord l’Europe à la Chine, armèrent une flottille de sept vaisseaux. L’expédition quitta le Texel le 2 juillet ; le 17 août, elle doublait la côte de la Nouvelle-Zemble., Elle passa ensuite le détroit de Waigatz. Les marins débarquèrent sur la côte nord ; mais ils n’y trouvèrent ni hommes ni maisons. Au sud, ils eurent quelques rapports avec les Samoïèdes. Cependant le temps était froid, mélancolique et neigeux. Il n’y avait plus moyen d’avancer dans ces mers encombrées par les glaces. Il fallut encore reprendre le chemin de la Hollande sans lui rapporter ce cri de joie et de victoire : « Nous avons trouvé ! »

La confiance qu’on avait placée dans les calculs des navigateurs fut gravement ébranlée par ces expéditions malheureuses. Les états-généraux ne voulurent point renouveler une tentative qui avait entraîné beaucoup de dépensés. Ils offrirent néanmoins une prime d’encouragement à la compagnie qui ouvrirait à ses frais un passage vers la Chine par le nord-est. La régence d’Amsterdam nolisa alors deux vaisseaux, et promit aux équipages, outre la somme fixée par les états, qui était de 25,000 florins, une récompense considérable en cas de succès. Les marchands de cette cité comprenaient toute l’importance d’une telle découverte au point de vue du commerce néerlandais, dont ils formaient la tête. Jacob van Heemskerk[1] commandait l’expédition ; Willem Barendz était maître-pilote sur un navire, et Van de Ryp patron sur l’autre. Le 10 mai 1596, on vit s’éloigner d’Amsterdam, non sans quelque intérêt, ces hommes qui, après deux entreprises infructueuses, s’obstinaient à chercher une route dans les glaces infranchissables. Aux doutes de leurs concitoyens, à l’inutilité de leurs premiers efforts, à la résistance des élémens, ils opposaient, eux, leur courage et leurs espérances stoïques.

  1. Jacob van Heemskerk est un des plus grands marins de la Hollande. Après son exploration des mers arctiques, il passa aux Indes, et fut un des premiers à jeter les bases de la puissance batave dans l’extrême Orient. Il mourut héroïquement à la tête de la flotte hollandaise dans la fameuse bataille navale de Gibraltar, qui fut livrée en 1607, l’année même de la naissance de Ruyter. La vie de Heemskerk est résumée dans les deux vers que Hooft, le Tacite hollandais, inscrivit sur sa tombe à Amsterdam, et dont voici la traduction : « Heemskerk, qui osa se frayer un passage à travers le fer et les glaces, laissa l’honneur au pays, le corps ici, la vie devant Gibraltar. »