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plus en plus profond. Elle crie, elle enfonce : ils enfoncent l’un et l’autre… Les sables avaient été perfides. Et nul moyen de venir à leur secours ! Les vagues roulèrent sur eux. — Terrifiés, les compagnons de leurs jeux regardaient en silence ; en silence aussi ils regagnèrent leurs demeures. Les cœurs débordaient d’émotion, mais toutes les langues étaient muettes. La morne lune se leva vers le soir, lançant de pâles rayons sur le sable où ils reposent en paix. Le vent effleurait la mer sans voix, et les lames baisaient religieusement la grève, et un hymne de tristesse et de mort résonnait sur tout le rivage en deuil. »

Un pays que tant de liens unissent à la mer se trouvait merveilleusement préparé aux grandes entreprises navales. L’océan est pour les Hollandais un vaste et continuel atelier de travail[1]. On sait les avantages qu’ils tirèrent de la pêche du hareng et du cabillaud ; une autre pêche, d’un caractère tout différent, se développa plus tard avec la république elle-même, dont elle porta très haut les destinées : je veux parler de la pêche de la baleine. Cette grande industrie maritime est un théâtre de faits tout nouveaux. La pêche de la baleine diffère de toutes les autres pêches et par la puissance des armemens qu’elle exige, et par la nature des contrées qu’elle visite, et par le caractère chevaleresque des marins qui y prennent part. L’histoire de quelques expéditions célèbres dans les mers de glace, les courageux efforts de certains Hollandais pour s’établir dans des régions sauvages où la nuit succède à la nuit et l’hiver à l’hiver, les dangers d’une pêche héroïque, les mœurs des marins qui livrent chaque jour au plus grand animal de la création de véritables batailles

  1. Une nation se peint dans son langage. En Hollande, on trouve une foule de métaphores et de proverbes empruntés aux usages de la vie maritime. On dit par exemple volontiers d’un homme ferme qui lutte contre les difficultés, qu’il « tient la tête au-dessus des eaux. » Veut-on soutenir en principe qu’il ne faut qu’un maître dans un état ou dans une maison, on s’exprime ainsi : « Il ne faut pas qu’il y ait deux mâts dans un navire. » Un homme ivre est un homme qui ne sait plus diriger son gouvernail. Insiste-t-on sur la nécessité de modifier un système établi et de céder aux circonstances, on se sert de cette image : « Si la marée refoule, il faut déplacer les balises. » Un Hollandais ne vous demandera pas : comment vous portez-vous ? mais « comment naviguez-vous ? (hoe vaart gy ?) » Dans les ouvrages des poètes néerlandais, on trouve également beaucoup de figures tirées de la navigation. Vondel, parlant de Vossius, dit : « Tout ce qui se trouve enfoui dans les livres est venu flotter dans son cerveau. »
    Al wat in boeken steckt is in zyn brein gevaren.
    Non-seulement la nation hollandaise a enrichi son langage d’expressions qui révèlent ses instincts maritimes, mais de plus elle a fourni aux autres peuples européens un grand nombre de termes tirés de son vocabulaire naval. Chaque race contribue ainsi au développement des idiomes modernes pour la partie de la langue qui est relative à ses facultés et à son génie. Les Anglais eux-mêmes reconnaissent que le hollandais a prêté considérablement de mots techniques à leur dictionnaire maritime.