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pas quelques autres conséquences encore à tirer de ces rapprochemens dans l’intérêt de la société industrielle proprement dite ? Le régime intérieur de l’industrie, c’est-à-dire les lois qui concernent le travail, diffère de pays à pays. Tel peuple s’est honoré en protégeant l’enfance contre les abus que le développement de la concurrence tendait à engendrer dans les fabriques ; tel autre n’est point encore entré dans cette voie bienveillante, ou n’y a fait que des pas insignifians. Là, l’égide de la loi s’étend sur les femmes, au moins dans des manufactures d’un certain genre ; ici, le sexe le plus faible est abandonné à tous les hasards de la vie des ateliers. Là, on a imposé des limites au travail journalier des adultes, pour que les forces humaines, associées dans la production à ces agens infatigables qu’on appelle machines, ne fussent pas épuisées avant le temps dans un effort exagéré ; ici, on laisse aller la liberté jusqu’à la licence. — Les lois relatives à la propriété industrielle, telles que les lois sur les brevets d’invention, les marques et les dessins de fabriques, ne varient pas moins que celles qui s’appliquent au régime du travail. Nous nous demandons si ces matières ne pourraient pas donner lieu à un accord général qui faciliterait singulièrement l’exécution des mesures que la morale et la politique recommandent partout à l’attention des hommes d’état. »

Les vœux exprimés par M. Audiganne se réaliseront prochainement. Déjà des mesures ont été prises pour assurer chez la plupart des nations manufacturières l’exécution des règlemens qui régissent le travail des usines. On s’occupe en même temps de préparer un code international pour la garantie de la propriété industrielle ; un projet de loi a été présenté au corps législatif sur les marques et dessins de fabrique, et ce projet contient une disposition qui offre aux pays étrangers, moyennant réciprocité, le bénéfice des garanties dont seront appelés à jouir nos nationaux. Sur ce point comme en matière de propriété littéraire, la France aura donné le signal d’une réforme vainement réclamée jusqu’ici. Pour les brevets d’invention, l’exposition de 1855 a démontré la nécessité d’établir partout un régime similaire. Ces questions si complexes, si délicates, qui sont demeurées longtemps à l’état d’étude, viennent d’être éclairées d’une vive lumière, et les gouvernemens, après avoir recueilli les impressions qu’a fait naître l’exposition, ne peuvent plus se refuser à les résoudre. Comment d’ailleurs ne s’entendraient-ils pas ? Le profit ne serait-il pas égal pour tous ? Chaque pays n’a-t-il pas aujourd’hui une propriété industrielle à protéger ? Ce n’est plus seulement une affaire d’honneur et de loyauté dans les transactions : c’est encore un grand intérêt mercantile qui est en jeu. On doit se féliciter de voir cet argument se joindre à tant d’autres, d’un ordre plus élevé, pour pousser la législation internationale dans ces voies nouvelles, et pour créer en quelque sorte le droit des gens de l’industrie. L’argument sera décisif. Les faits exposés par M. Audiganne dans son tableau de l’industrie contemporaine, les élémens de comparaison et de rapprochement qu’il a puisés dans un sujet aussi vaste, et les considérations qu’il a invoquées contribueront, pour une large part, aux améliorations et aux réformes qu’il recommande à l’attention publique.


C. LAVOLLEE.


V. DE MARS.