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vait vérifier. Il s’intéressait à ce monde dont il n’était plus, et il suivait du regard intérieur le mouvement de notre temps, qui a pu quelquefois déconcerter quelques-unes de ses vues historiques, mais non décourager son amour de la science. M. Augustin Thierry était arrivé à un état tel que sa fin ne pouvait plus être inattendue, et cependant la mort l’a saisi à l’improviste, presque sur son œuvre, aujourd’hui interrompue ; elle a achevé de souffler sur cette existence, et elle a laissé une place vide dans la littérature contemporaine, dans notre société même, emportée par tant d’autres pensées au milieu de toutes les diversions de la politique ou de l’industrie.

La politique est une œuvre de tous les jours que chaque pays poursuit avec le génie qui lui est propre, dans la mesure de ses intérêts et dans les conditions qui découlent naturellement de sa situation. Au nord et au midi, en Europe et au-delà de l’Océan, c’est le même spectacle. Le Danemark est certainement un des pays du nord les plus dignes d’estime. Indépendamment de la question du péage du Sund, soulevée par les États-Unis et non résolue encore, bien que le cabinet de Copenhague ait fait récemment des propositions sérieuses pour l’extinction des droits qu’il perçoit, le Danemark en est aujourd’hui à une épreuve tout intérieure. Il fait l’expérience d’une constitution nouvelle, machine politique d’un rouage fort compliqué et d’autant plus difficile à faire marcher. La monarchie danoise, on le sait, se compose du royaume de Danemark proprement dit et des trois duchés de Slesvig, Holstein et Lauenbourg, dont les deux derniers, situés au sud de l’Eyder, sont allemands de nationalité et de langue et font partie de la confédération germanique. Le royaume est constitutionnellement représenté par une assemblée législative élue au moyen du suffrage universel. Chacun des duchés a une assemblée moitié législative, moitié consultative, sorte d’états provinciaux. Ces diverses fractions de la monarchie devant former un tout politique d’après la constitution commune promulguée à la fin de 1855, un ’conseil suprême ou rigsraad, composé de vingt membres choisis par le gouvernement et de soixante membres élus par les assemblées provinciales ou par les électeurs des provinces, est investi de la juridiction législative sur les affaires générales de l’état. C’est ce conseil qui s’est réuni il y a deux mois, le 31 mars, et dont la session dure encore. Le roi a nommé président de cette assemblée M. Madvig, professeur de philologie ancienne a l’université de Copenhague, ancien ministre du culte et de l’enseignement, et vice-président M. Burchardi, juge à la cour supérieure d’appel du Holstein. Outre divers projets d’une importance inégale, le gouvernement a soumis à l’examen du conseil un budget pour l’ensemble de la monarchie, budget qui embrasse deux années, et qui pour ces deux années s’élève à 28 millions d’écus.

Dès que le principe d’une fusion entre les provinces de nationalité et de langue diverges était admis, la réunion des représentans de ces provinces dans une même assemblée devenait une condition naturelle et nécessaire. Dès l’ouverture de cette première session, il a été néanmoins évident qu’un certain nombre de députés du Holstein visaient à prendre une attitude particulière, se tenant en méfiance contre tout ce qui venait du gouvernement et du Danemark. Cette fraction est spécialement aristocratique et réactionnaire : elle se compose d’hommes qui ont pris part à l’insurrection de 1848.