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ces. Il ne prend une signification plus générale que par les circonstances dans lesquelles il a été conclu, et par ce fait, aussi décisif qu’imprévu, du maintien ostensible d’une triple alliance dans les conditions d’incertitude où se trouve actuellement placée l’Europe.

Quelque spécial qu’en soit l’objet, le traité du 15 avril n’est pas moins le signe éclatant des transformations qui s’opèrent dans la politique du continent. Sous une forme publique et avouée, c’est la réalisation de la pensée déposée dans la convention secrète signée par les mêmes puissances en 1815, à Vienne, peu avant les cent-jours. Si on cherche les mobiles qui ont pu se glisser aujourd’hui dans la négociation de cette alliance particulière, la France est évidemment le pays qui avait en cela l’intérêt le moins personnel et le moins direct ; l’Angleterre pouvait espérer jeter de la sorte entre la France et la Russie un acte de méfiance, comme un obstacle à un rapprochement ; l’Autriche surtout avait l’avantage immense de trouver dans une combinaison nouvelle la force, le point d’appui dont elle manque en présence du ressentiment du cabinet de Saint-Pétersbourg et de la rivalité taquine de la Prusse. C’est en Prusse qu’un journal appelait le traité du 15 avril une ligue de défiance, un Sonderbund européen ; c’est du moins le notable déplacement d’une alliance qui du nord, où elle existait jusqu’à présent, se trouve transportée au midi. Mais quel est le rapport du traité du 15 avril avec les affaires d’Italie ? Il n’y a aucun rapport apparent. Entre la garantie permanente, active, assurée collectivement à l’indépendance de l’empire ottoman, et la garantie des possessions autrichiennes au-delà des Alpes, il n’y a aucune relation de solidarité. La question italienne reste donc entière, telle qu’elle a été posée dans le congrès de Paris, telle qu’elle découle malheureusement encore des conditions où vit la péninsule, et ce sera là, sans nul doute, l’épreuve la plus décisive de l’alliance nouvelle.

Il y a aujourd’hui pour les gouvernemens comme pour les peuples un intérêt politique et moral de premier ordre à aborder enfin cette question italienne, qui est celle de la destinée de toute une race aussi brillante qu’éprouvée. Seulement, qu’on ne s’y méprenne pas, il n’est point de question où les passions se substituent plus aisément à la réalité, et c’est ici surtout que l’imagination ajoute au mal véritable le danger des illusions sur la nature ou la possibilité du remède. Au fond, il y a deux choses en Italie : il y a la situation intérieure des divers états, et il y a la domination autrichienne, qui réagit sur l’ensemble de la péninsule. Après les discussions qui ont eu lieu dans le congrès, on peut dire aujourd’hui que tout ce qui touche à l’ordre intérieur se réduit principalement à la question des états pontificaux. Là du moins le mal est rendu plus sensible par la nécessité d’une occupation étrangère permanente. Les Autrichiens campent dans les Légations aux frais du saint-siège ; la France est à Rome à ses frais. Les populations n’ont plus par malheur au même degré l’affection qu’elles avaient autrefois pour la papauté. Le gouvernement romain rencontre toujours l’obéissance passive et extérieure ; mais sous cette obéissance se cache une sourde et pénible inquiétude qui transforme les moindres souffrances en griefs, et s’aigrit d’autant plus qu’elle est contenue. C’est une situation pleine de périls. Comment s’est-elle formée ? Il y a bien des causes sans doute.