Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas pour enchaîner l’attention de l’auditoire. Il n’y a que le ridicule qui puisse animer une fable comique, et le sentiment du ridicule est un don que l’auteur de la Boursene possède pas. Je crois donc qu’il agirait sagement en demandant à l’histoire le thème de ses compositions futures. C’est dans l’histoire qu’il trouvera l’application naturelle de ses facultés. Il sait, quand il le veut, quand il s’en donne la peine, traduire dans une langue élégante les passions politiques et même les passions d’une nature plus douce. Il rencontrera dans le passé des épisodes qui exalteront son imagination et lui permettront de toucher aux plus hautes questions morales. C’est pour lui le moyen le plus sûr d’affermir sa renommée.

Ce conseil ne sera pas écouté. Ceux qui voient dans le succès un argument sans réplique encouragent M. Ponsard à persévérer dans la route qu’il a choisie. Les objections que je lui soumets seront traitées comme des paroles sans valeur, sans portée ; l’avenir dira si je me suis trompé. J’ai parlé de la Bourse de manière à prouver toute l’importance que j’attribue à l’auteur ; j’ai tâché de justifier mes affirmations. Ceux qui le vantent sans mesure ont dédaigné cette méthode, la trouvant trop laborieuse, et je crains bien que M. Ponsard ne les prenne au mot. On lui dit qu’il a raison d’explorer le domaine de la comédie, qu’il est dès à présent un maître consommé, qu’il a pénétré tous les secrets de l’art, et n’a plus rien à deviner. S’il se laisse prendre à ces flatteries, le repentir ne se fera pas attendre. J’aurais voulu pouvoir louer son œuvre nouvelle comme j’ai loué l’entretien de Robespierre, de Marat et de Danton. Si l’auteur m’eût offert des personnages vivans, je les aurais accueillis avec joie. La Bourse n’est à mon avis qu’une épître découpée en dialogue, et j’ai dû le dire.

Les œuvres sérieuses ne se comptent pas par centaines. On peut dire qu’au théâtre elles sont encore plus rares que dans les autres parties de la littérature contemporaine : il faut donc saisir avec empressement toutes les occasions qui se présentent de discuter les conditions de chaque genre et l’application des principes reconnus vrais par une suite de générations. L’industrie dramatique produit chez nous bon an mal an une pièce par jour. Je conçois qu’on traite légèrement, qu’on vante ou qu’on blâme au hasard les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de ces ouvrages ; mais quand un poète dont le nom jouit d’une légitime autorité écrit une composition de longue haleine et choisit la forme la plus sévère, le, louer sans dire pourquoi, ce n’est pas lui donner une preuve, d’estime. La plus sûres manière de témoigner l’état qu’on fait de lui, c’est de soumettre sa pensée à l’examen le plus rigoureux, le plus attentif. Avertir les poètes qui se trompent sur leur vocation n’est pas un des moindres devoirs de la critique.