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théâtre en effet qui prend habituellement l’étrenne des idées nouvelles ; il ne s’en empare qu’après avoir attendu quelques années. Quand elles ont fait leur chemin, quand elles sont devenues populaires, il les met en action, et ce procédé, qui n’exige pas une grande dépense d’imagination, réussit presque toujours. S’il n’a pas été suivi par les maîtres de l’art, s’il n’a pas même été deviné par eux, je reconnais volontiers que de nos jours il obtient un succès à peu près constant ; le tort de M. Ponsard est d’avoir cru qu’il est infaillible.

Ainsi, dans la fable qu’il baptise du nom de comédie, il ne hasarde pas une pensée qui lui appartienne : pour entrer en matière, ce ne serait pas maladroit ; pour enchaîner l’attention pendant trois heures, ce n’est pas assez. On peut dire sans exagération qu’il a poussé l’économie jusqu’à l’avarice. Ne rien prodiguer est d’un homme sage ; il n’y a pourtant pas de moisson sans semailles, et l’auteur de la Bourse paraît se conduire d’après une autre opinion. Léon Desroches, amoureux de Camille Bernard, tente la fortune sans avoir jamais rêvé la richesse. Il ne songerait pas à jouer, si le pèze de Camille ne le trouvait trop pauvre pour lui donner sa fille. Il jouera donc pour réaliser le vœu de sa jeunesse, pour posséder la femme qu’il aime : jusque-là tout se conçoit, tout s’explique facilement ; mais quand il a touché le but de son ambition, quand il tient dans ses mains les cent mille écus qui le font aussi riche que sa fiancée, pourquoi joue-t-il encore ? pourquoi ne s’arrête-t-il pas ? S’il aime vraiment Camille, il doit partir sans délai, quitter Paris au plus vite, et emporter avec joie le trésor que le hasard vient de lui donner. S’il demeure, s’il joue encore après avoir trouvé ce qu’il n’osait pas conquérir par le travail, c’est que son cœur n’est pas atteint profondément, et que le jeu est son unique passion. La chance tourne contre lui. Ruiné, il pense au suicide comme tous les joueurs qui sont partagés entre le sentiment de la probité et le goût de la paresse : y a-t-il au monde rien de plus vulgaire ? Reynold vient l’arracher à son projet et lui désigne le travail comme le seul moyen de se réhabiliter. Devenu contre-maître dans une usine, Léon sauve par son courage la vie de plusieurs ouvriers, et Camille, qui avait refusé sa main au joueur, qui avait promis d’épouser son cousin Reynold, fausse parole à celui qui n’a jamais failli pour devenir la femme de Léon. Il est beau sans doute d’honorer le courage, de le récompenser ; mais la conduite de Camille me parait difficile à expliquer. Léon, qui a sauvé ses camarades au péril de ses jours, offre-t-il des garanties de sagesse à la femme qu’il aime et qui tout à l’heure le repoussait ? Est-il bien affermi dans le travail ? A-t-il renoncé à l’espérance de gagner en quelques semaines