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ne sait-il pas tout sans avoir rien appris ? ne plaît-il pas à tous les yeux ? Qui oserait le contredire, s’il lui plaît de se tromper ? qui oserait le railler, s’il lui plaît de soupirer ? Lesage, en dessinant le portrait de Turcaret, n’a pas épuisé les ridicules du financier. Le joueur qui s’est enrichi à la Bourse laisse bien loin derrière lui le traitant du siècle dernier, et, sans avoir le génie de Lesage, on peut glaner encore plus d’un épi dans le champ qu’il a moissonné. La fatuité des nouveaux Turcarets, leur intrépidité de bonne opinion, la confiance dont ils s’honorent, offrent plus d’un trait à la comédie, et je crois que le ridicule n’était pas à négliger dans la peinture de la Bourse.

L’élément comique et l’élément dramatique pouvaient-ils se combiner ? C’est là sans doute un projet difficile à réaliser. Je ne suis pourtant pas de ceux qui le considèrent comme chimérique. À la Bourse comme ailleurs, le rire se montre à côté des larmes, et la réunion de ces deux élémens n’aurait étonné personne. En réservant le côté dramatique pour les personnages principaux, le côté comique pour les personnages épisodiques, le poète pouvait compter sur la curiosité, sur l’attention de l’auditoire.

Quant à la moralité d’un tel sujet, elle ne pouvait se trouver que dans le spectacle du travail courageux et résigné. À la fièvre du jeu, les plus habiles n’opposeront jamais qu’un remède, le bonheur de l’étude, la richesse lentement acquise par un labeur acharné. Les conseils les plus éloquens, les argumens les plus ingénieux, les plus mordantes ironies n’égaleront jamais en puissance un exemple pris dans la vie réelle. Dès que le poète comique s’attribue une mission morale, et je ne blâme pas cette prétention, il doit appeler à son aide le troisième élément que je viens d’indiquer. Ainsi, pour faire de la Bourse une comédie, il faut réunir dans une action rapide et vivante la passion, le ridicule et le devoir. Le sujet choisi par M. Ponsard impose au poète ces trois conditions.

Reste à savoir comment on peut les réaliser. Or je pense que la comédie de mœurs, en pareille occasion, est un cadre insuffisant. La comédie de caractère est la seule qui se plie à toutes les exigences d’une telle donnée. Passion, ridicule et devoir, tout doit être idéalisé pour se fondre dans une harmonieuse unité. Si le poète s’en tient à la réalité, il aura beau prodiguer l’élégance dans les détails, il ne produira jamais qu’une œuvre prosaïque et inanimée.

Les personnages mis en scène par M. Ponsard ne manquent pas de vérité. En regardant autour de soi, on trouve des types pareils à ceux qu’il a dessinés. Le défaut de ces personnages, c’est de n’être pas tracés avec assez de vigueur. Les figures sont indiquées plutôt qu’achevées. On dirait que l’auteur n’a pas pris le temps de les étudier,