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l’aspect des démagogues, leurs cyniques propos, leurs insolentes convoitises, c’en est assez pour allumer cette soif de salut qui fait perdre à un peuple toute mesure, toute prudence ; tantôt ce sont d’autres terreurs qui lui font faire d’autres folies. Le cauchemar de l’Angleterre en 1660 était l’armée, le despotisme militaire. Elle en avait tant souffert ! Les majors-généraux, leurs exactions, leurs insolences, et depuis la mort de Cromwell, cette horde brutale que ne tempérait plus la moindre intelligence, ce colossal pouvoir tombé aux myrmidons, voilà ce qui poussait l’Angleterre au royalisme, au royalisme pur, aveugle et désarmé. Son instinct lui disait que, dût-elle en pâtir, c’était encore un immense profit que de sortir des mains de la soldatesque, que pour elle et pour ses libertés tout valait mieux, même un apprentissage du bon plaisir d’un roi, qu’une succession de Desborough, de Fleetwood et de Lambert se passant de main en main, comme un bétail, les habitans des trois royaumes. Ce même instinct lui disait qu’il n’y avait pas un moment à perdre : l’armée était divisée, occasion peut-être unique de se délivrer d’elle ; stipuler des garanties, des conditions, c’était entrer en pourparlers interminables ; il faudrait négocier, argumenter avec la couronne, envoyer chaque jour d’Angleterre en Hollande et de Hollande en Angleterre observations, réponses, projets, contre-projets. Quel temps perdu ! L’ennemi prendrait l’éveil ; bientôt les deux camps n’en formeraient plus qu’un, et la république et l’armée commenceraient un nouveau bail pour l’asservissement du pays. Se hâter, en finir, ne pas perdre un instant, s’associer au royalisme pour se donner la force de dissoudre l’armée, de balayer le terrain, voilà ce que voulait l’Angleterre, voilà ce qui expliqué cet acquiescement précipité, cet oubli de ses droits, cet abandon de toutes garanties. Toujours, en de telles rencontres, les peuples vont au plus pressé, sauf à se donner plus tard tel démenti que de besoin. Ce qu’ils ont fait si vite, il faut toujours qu’ils le refassent.

Aussi quel est le véritable caractère de cette restauration de 1660 ? On pourrait s’y tromper, à voir la joie sincère, le profond sentiment de délivrance, les élans de confiance et d’espoir qui éclatent de tous côtés. Quel monarque, au retour des plus rudes campagnes, après les plus glorieux exploits, reçut jamais pareilles ovations ? Et pour tant, regardez-y bien, malgré ces cris, ces hourras, ces vivats, malgré ces flots d’ale qui coulent à la santé du roi, malgré le bruit des canons de la Tour grondant au loin sur la Tamise, la restauration de 1660 n’est au fond qu’un expédient. On sent dès la première heure, au milieu même du triomphe, sous l’éclat de ce ciel serein, un sourd frémissement qui prédit les orages. À quoi bon dissoudre l’armée, cette armée inquiète et silencieuse, rangée tristement en bataille