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l’académie de Leyde, l’enseignement y est fort déchu de son ancienne splendeur. J’ai sous les yeux les cahiers des différens cours. Quelques professeurs ont conservé l’habitude de donner leurs leçons en latin. Il y a peu d’années, M. Tiedeman, robuste vieillard qui assiste encore les élèves de ses conseils, professait l’économie politique dans cette langue morte. Il est curieux de voir les tours de force auxquels se livrait un esprit nourri de la sève latine pour traduire les idées de Jean-Baptiste Say dans l’idiome de Cicéron. Le capital se disait sors, la rente reditus, le prix courant pretivm naturale, l’intérêt mura, l’assignat pecunia chartacea, les lettres de change cambiales litterœ. D’autres cours se font encore en latin ; le code civil lui-même est expliqué et commenté dans cette prose antique chargée d’un néologisme barbare. Tout cela est gravement puéril. À une science nouvelle et à des faits nouveaux il faut une langue vivante. L’ensemble des études à Leyde est assez complet ; seulement c’est un enseignement vieux comme les murs de l’académie, respectable comme les ancêtres, froid comme le passé. La plupart des professeurs se contentent de dicter tous les ans le même cahier. Je crains que l’immobilité universitaire n’ait contribué à l’immobilité de la vie intellectuelle en Hollande. Une des figures curieuses de cet enseignement renouvelé des Grecs et des Latins, c’est le maître d’escrime, qui elegantem gladii artem docet, dit le programme.

À l’université se rattachent des établissemens scientifiques bien dignes de fixer l’attention. La bibliothèque est belle et vaste. Une vieille gravure représente l’ancienne disposition de ce dépôt scientifique. Les livres étaient alors rangés sur des espèces de pupitres, et chacun d’eux tenait à une tringle de fer par une petite chaîne. On lisait debout les ouvrages ainsi attachés et fixés. Aujourd’hui la confiance a fait des progrès, et les étudians ont la faculté d’emporter les livres chez eux, sous la garantie du professeur. La bibliothèque possède des manuscrits et des ouvrages rares dont plusieurs ont appartenu à Scaliger ; les murs sont décorés de quelques bons portraits historiques[1].

Le musée anatomique, dont Sandifort nous a laissé une description savante et raisonnée, contient une riche collection de crânes, une belle série de monstres (car les monstres ont aussi leur beauté), des fœtus appartenant aux diverses races humaines, la tête d’un roi d’Afrique, qui, triste retour des grandeurs humaines, figure aujourd’hui dans un bocal, et surtout une jolie tête d’enfant préparée par

  1. Les études orientales trouvent à Leyde de grandes ressources ; depuis quelques années, M. Dozy leur a donné une forte impulsion, et l’influence d’un jeune professeur, M. Cobet, n’a pas été moins utile aux études grecques.