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malheur d’associer son nom à une affaire lugubre, le duel Cilley et Graves, dont il fut la cause innocente, mais la cause première. Ses opinions sont celles d’un Américain de la vieille roche, et lorsque M. Kossuth (lequel par parenthèse est correspondant du Daily-Times) vint aux États-Unis, M. Webb ne craignit pas, au risque de blesser l’engouement de la foule, de déclarer que tout ce tapage était inutile et ne ferait aucun bien à l’Union. Ces attaques au caprice régnant du public peuvent être dangereuses ; M. Webb en fut quitte toutefois pour trois grognemens qui furent proférés ou plutôt hurlés avec enthousiasme, si j’ai bonne mémoire, au banquet qui fut offert à M. Kossuth par la municipalité de New-York. Au banquet de la presse, il fut publiquement insulté, sa voix fut étouffée sous les rumeurs, et, n’étant pas libre de se défendre, il sortit de la salle. Depuis cet incident, il a peu fait parler de lui.

Un des journalistes les plus étranges de l’Union était certainement (nous ne savons s’il vit encore) un certain major Noah, Juif d’origine et successivement rédacteur de plusieurs journaux maintenant disparus, entre autres le New-York national Advocate et l’Enquirer, un des deux journaux qui ont été fondus dans la feuille rédigée par le général Webb. C’était un homme d’une humeur particulièrement querelleuse et toujours engagé dans quelque démêlé avec ses voisins. En 1841, il rédigeait un journal favorable au gouvernement du président Tyler, et il avait pris l’habitude d’attaquer violemment la Tribune, qui venait d’être fondée. Un jour, à bout de ressources et ne sachant quoi reprocher au rédacteur de ce journal, il l’accusa d’avoir déjeuné dans un boarding house avec deux hommes de couleur. Il donnait la rue et le numéro de la maison. M. Greeley lui répondit qu’il préférait les nègres aux Juifs, et l’appela juge d’Israël. Cette injure était une allusion à une ancienne folie de M. M. Noah. En 1825, l’honorable journaliste s’était mis en tête que le moment fixé pour le l’établissement des Juifs comme nation était arrivé, et qu’il était le juge désigné par Dieu pour exécuter ce dessein. Il avait choisi pour théâtre de sa future grandeur Grand-Island, près de Buffalo, et convoqué tous ses coreligionnaires pour le 15 septembre. Au jour fixé, il s’était montré avec tous les insignes bibliques des rois d’Israël, et avait lancé une proclamation à tous les Juifs réunis sur la terre. Ordre était donné à tous les rabbins et à toutes les synagogues du monde de respecter et de faire respecter les ordres de Mardochée Manuel Noah, citoyen des États-Unis, ex-consul de la république au près du royaume de Tunis, high sheriff de New-York et par la grâce de Dieu gouverneur et juge d’Israël. Quelques-uns de ces ordres étaient assez bizarres. M. Noah recommandait aux Juifs d’être neutres dans la querelle entre les Turcs et les Grecs, défendait le mariage aux gens qui ne savaient pas lire et écrire, et décrétait un