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grandes choses que notre amour du cailletage, qui est légèrement immoral, et qui plus d’une fois s’est montré irrespectueux et subversif. Cette ardeur d’information, comme disent les Anglais eux-mêmes, est chez eux le plus sûr préservatif de la liberté politique, qu’elle n’a pas enfantée, mais qu’elle seule a réellement préservée une fois que la liberté politique a été mise au monde.

Cet amour de l’information sérieuse doit, je crois, sa principale force à l’esprit de la race elle-même, race cosmopolite d’habitudes, sinon d’âme ; voyageuse, exploratrice, mercantile, et au gré de laquelle la terre est trop petite pour ses goûts de pérégrination. Le journal tient lieu du voyage, le journal est un résumé de tout ce qui se passé dans le monde, et celui que ses occupations, les nécessités de sa vie ou de sa profession tiennent enchaîné au sol natal, trouve au moins dans la lecture quotidienne de son journal un moyen de satisfaire sa curiosité, et de tromper ses goûts de locomotion. Rien sur notre continent ne saurait donner une idée de ce singulier besoin de publicité. La lecture du journal n’est point un passe-temps, c’est une des occupations de la journée, et il n’est point rare de voir un Anglais, qui est souvent le moins distrait et le plus affairé des hommes, consacrer quotidiennement quatre longues heures à la lecture du Times. Ce désir de connaître, s’assouvit à l’anglaise, avec régularité, calme et méthode, comme une des opérations essentielles de la vie ; le journal est un besoin comme le déjeuner et le thé. Cette curiosité naturelle et de race, soutenue par la liberté politique, trouve encore un nouveau stimulant dans la division infinie de la société en petites castes, si l’on peut parler ainsi, en petites communautés, en petites églises, qui toutes ont un mot à dire en leur faveur ou contre leurs adversaires, et qui toutes ont des intérêts divergens à l’infini. L’esprit de controverse est ainsi sans cesse fomenté par cette diversité d’intérêts, de partis et d’églises. Enfin, dernière circonstance, la position insulaire de l’Angleterre a prêté à la presse une force considérable, et qu’elle ne pourra jamais trouver dans les autres états de l’Europe. Nous avons, pour satisfaire notre curiosité sur le continent, mille moyens, nous sommes pour ainsi dire traversés par les autres peuples ; mais l’Angleterre, à l’époque où la presse a commencé à prendre son importance, était privée de ces moyens rapides de communication, isolée des autres pays, protégée d’ailleurs par ses mœurs contre cette sociabilité facile qui nous a si longtemps tenu lieu de presse, qui nous en tient encore lieu. Le journal était la seule source d’information, presque le seul lien de communication avec le continent. Ce sont toutes ces causes très diverses, et quelques-unes très accidentelles, qu’il faut avoir présentes à l’esprit quand on veut avoir l’explication de la prospérité et (pourquoi ne