Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rappelé pour lui recommander de ne pas rentrer trop tard, à cause d’une grande soirée où ils devaient aller : — Sérieusement, lui dit-il, vous me conseillez de vendre Thorney ?

— Mais oui, dit-elle, — commençant néanmoins à se troubler, car l’accent avec lequel cette question lui était adressée avait quelque chose de particulier. — C’est de l’argent mort,… vous me l’avez dit vingt fois, et si nous en manquons… D’ailleurs je n’aurai plus à craindre de vous voir devenir un de ces hobereaux que j’ai en horreur.

— Le remède n’opérerait pas longtemps, répondit Hugh avec un peu d’amertume. — Je crains bien, Laura, poursuivit-il plus doucement, que nous n’ayons commencé par où il eût fallu finir… Et si cela continue, je serai bien pire qu’un hobereau, je serai un négociant ruiné.

Laura ne lui répondit que par un doux regard qui le suppliait de se taire, et par un tendre baiser qui en effet lui imposa silence.

Le soir même, je la vis arriver chez mistress Herbert, éblouissante de parure et de beauté. Je ne m’étonnai plus de l’orgueil que mon frère mettait à la produire et à l’entourer de luxe. Une si magnifique toile appelait un cadre d’or et de fines sculptures. Tout ce qu’il y avait là de jeunes gens à la mode fut bientôt groupé autour d’elle, et je la voyais avec peine s’enivrer de leurs hommages, faire avec eux assaut d’esprit et de vives reparties, tandis que Hugh, incapable de se plier à ces futilités et de parler ce jargon, causait gravement, à l’autre bout du salon, avec quelques vieillards, et faisait admirer d’eux sa vigoureuse intelligence, son coup d’œil net et sûr, ses appréciations solides et fortes.

Parmi les dandies empressés autour de Laura, le capitaine Martin, l’ex-prétendant à sa main, n’était pas le moins assidu. Sans avoir l’air d’y songer, Hugh ne le quittait guère des yeux. Au moment où nous sortions, le capitaine, arrivé en même temps que nous dans l’antichambre, s’empara du surtout de Laura, et se préparait à le lui poser sur les épaules ; mais j’eus le plaisir de voir Hugh s’interposer poliment, revendiquer ce soin officieux, et réprimer d’un seul geste ce qu’il pouvait y avoir d’un peu exagéré dans les attentions dont sa femme était l’objet.

À dater de cette soirée, il ne fut plus question d’économies. Sans être précisément jaloux de Laura, sans mettre en doute la parfaite loyauté de son affection, mon frère sembla décidé à ne reculer devant aucun sacrifice pour s’assurer le monopole absolu de cette tendresse, devenue son plus précieux trésor. Les fantaisies de Laura n’étaient plus seulement satisfaites au moment où elle les exprimait, mais devinées et réalisées d’avance. Sa reconnaissance était