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richesse, il ne lui reste plus qu’une maison de ville, édifice magistral du XVIe siècle, deux grandes églises, de superbes canaux avec de larges quais plantés d’arbres, des maisons qui se souviennent encore des beaux temps de : la république, et surtout une université.

L’origine de cette université fameuse se lie au siège que soutint, en 1573, la ville de Leyde. On connaît les causes qui avaient soulevé les Provinces-Unies contre la domination de l’Espagne. La liberté de conscience indignement violée, le despotisme politique et religieux, l’inquisition, la censure, les impôts arbitraires, tout avait exaspéré le sentiment national. « En ce temps-là, dit l’historien Hooft[1], les rangs, les sexes, les âges furent confondus dans une persécution générale. On ne voyait partout que des instrumens de supplice. Les gibets et les roues n’y pouvaient suffire. Les arbres qui bordaient les routes étaient surchargés de cadavres. Ailleurs s’élevaient les flammes de bûchers sans nombre. Chaque jour se dressaient des échafauds où coulait le sang. L’air même, source de la vie, en était comme infecté et ressemblait à un immense tombeau. » Alors on vit un spectacle unique dans l’histoire du monde. Quelques centaines d’hommes poussés au désespoir, des pêcheurs, des bergers, des négocians, s’unirent pour lutter contre l’écrasante oppression d’un gouvernement fort et contre des armées réputées invincibles. Suivant l’exemple donné par d’autres villes de la Hollande, les habitans de Leyde s’étaient déclarés en faveur de l’union des provinces, mais dans les derniers jours d’octobre ils furent attaqués et cernés par les Espagnols. Le prince d’Orange leur écrivit d’organiser à tout prix la résistance. Il s’engageait de son côté à chercher tous les moyens de venir à leur secours. « Tenez trois mois, leur disait-il ; quand même le siège durerait plus longtemps, ne perdez pas courage. Si vous persévérez malgré les angoisses de la faim, la délivrance est certaine ; si au contraire vous fléchissez une servitude éternelle vous attend. » L’ennemi cherchait cependant par de flatteuses promesses à s’ouvrir l’entrée de la place. À de telles avances, les insurgés ne ; répondirent que par ce vers latin :

Fistuta dulce canit, volucrem dum decipit auceps.

La défense de la ville fut confiée à Janus Douza. Les citoyens s’engagèrent par serment à s’ensevelir sous les débris de leurs maisons

  1. Hooft a été surnommé le Tacite de la Hollande. Imitateur patient et quelquefois heureux de l’historien romain, il a raconté dans un style énergique les principaux événemens de la guerre de l’indépendance. Nous avons d’ailleurs puisé à une source d’indications non moins précieuses et plus pittoresques. Un membre distingué des états-généraux, M. Wintgens, a bien voulu nous communiquer une collection d’anciennes gravures qui embrasse toute l’histoire du pays avec les costumes, les figures, le style de chaque époque.