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fenêtres étroites et hautes, envahies par les jets des plantes grimpantes qui tapissaient les murs extérieurs, ne laissaient arriver dans la pénombre des grandes pièces voûtées qu’un jour éteint et douteux. Poussant une lourde porte, et nous introduisant dans une chambre entièrement close : « C’est ici, nous dit la tante, que mourut le squire Ralph… » À ces simples mots, la légende tragique me revint en mémoire et me glaça le cœur. « Rien n’y a été dérangé depuis lors, reprit la tante. » De fait, la longue table massive pesait encore sur le tapis en lambeaux ; les antiques fauteuils de cuir, épars çà et là, n’avaient pas même été poussés contre les murs. Au-dessus de la cheminée était le portrait d’un jeune homme en riche, costume de velours rouge. « Ralph-Philip Randal, » murmura la tante, déchiffrant péniblement l’inscription placée au bas de ce cadre. La date est 1729. C’était avant son premier mariage… Voici, ajouta-t-elle d’un accent plus pénétré, voici le fauteuil où il fut trouvé mort, avec des papiers, des actes, des contrats épars autour de lui. Dans sa main était une miniature que sa dernière convulsion avait brisée ; à ses pieds, les débris d’un petit flacon… C’est tout ce qu’on sait de sa déplorable fin.

Je sentais la main de Ruth frémir et se glacer dans la mienne. Hugh s’avança vers une fenêtre et l’ouvrit toute grande. Son geste semblait dire : Maintenant que je suis le maître ici, l’air et le soleil y pénétreront sans obstacle. — Tante Thomasine parut presque contrariée de cette hardiesse inattendue. — M. Nevil, nous dit-elle, a eu le bon esprit de ne rien déranger ici… et, comme vous voyez, Hugh a tout acheté, meubles, peintures, en l’état où chaque chose se trouvait au moment de la vente.

Nous fûmes bientôt las de cette funèbre inspection. Hugh m’emmena du côté des jardins ; mais, s’arrêtant tout à coup sous le vestibule : — Sans vous, Grisell, me dit-il, je ne me serais jamais vu le maître de Thorney… Je vous dois tout ceci… Croyez que je ne l’oublierai jamais.

Les jardins étaient dans le plus complet désordre. La mousse dévorait les arbres fruitiers ; semées par le vent, arrosées par les pluies, mille végétations hétérogènes encombraient les allées. Quand nous fûmes arrivés sur une terrasse qui dominait toute la vallée, Hugh me fit part de ses arrangemens projetés, qui tous se rapportaient à Laura Rivers. Il mettrait en état, pour elle, la grande chambre octogone jadis habitée par miss Grisell, cette fière Randal qui, pour sauver l’honneur du nom compromis par son frère, avait vendu le château. Il dessinerait sous sa fenêtre des massifs de fleurs… — Est-ce que vous comptez vous établir complètement ici ? lui demandai-je en l’interrompant.

— Oh ! non… ceci est encore impossible. Je n’ai pu acheter que