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— C’est cela même.

Puis il s’assit près du feu, et, bien que ma curiosité fût en éveil, je le laissai savourer tout à son aise ses réflexions couleur de rose. J’espérais bien qu’il finirait par m’en arriver quelques reflets ; mais au moment où, lasse de son silence, j’allais hasarder une question, il se leva, prit son chapeau, et sortit aussi brusquement qu’il était entré.

J’allai dès le lendemain chez ma future belle-sœur. Là peut-être je saurais quelque chose de plus. Nouvelle surprise. On m’introduit dans la chambre de Laura, où elle était assise près d’un métier à broder. Elle se lève, me tend la main, se rassied aussitôt, très rouge et toute tremblante. On juge de mon embarras ; mon compliment s’en ressentit, et je ne crois pas qu’on en ait jamais tourné d’aussi embrouillé. Au moment où je parlais du bonheur que Hugh trouverait auprès d’elle :

— Croyez-vous ? me demanda-t-elle, levant sur moi ses yeux limpides. Un faible sourire accueillit ma réponse affirmative, et bientôt, baissant la tête sur son métier, la belle boudeuse, abritée derrière un rempart de boucles blondes, me déroba de nouveau la rougeur de ses joues brûlantes, rougeur que trahissait un bout d’oreille vivement carminé.

Tout ceci était mystérieux pour moi, et me semblait peu flatteur pour mon frère. Par cela même qu’elle appréciait si mal le mari qu’elle semblait accepter ainsi à contre-cœur, Laura me donnait une assez pauvre idée de son jugement. En la quittant, je passai chez mistress Herbert, qui me fit ses reproches ordinaires sur la rareté de mes visites. Elle entama aussitôt après la question du mariage projeté. On lui en avait parlé déjà, et elle ne le trouvait pas, sous le rapport de la fortune, égal à ce que mon frère pouvait prétendre. Je lui répondis par son propre exemple, et je l’entendis avec plaisir me déclarer « qu’elle n’avait jamais regretté d’avoir épousé un homme moins riche qu’elle. » L’égoïsme ne l’avait donc pas envahie tout entière. Revenant ensuite à mon frère : — Il va sans doute se mettre sur un grand pied de représentation. Laura Rivers aime le monde, elle est faite pour y briller.

Encore un mystère. Cette timide enfant, faite pour les succès du monde ! Chacun la voyait donc à un point de vue différent ? De tous les jugemens portés sur elle, quel était le vrai ?

À une soirée de famille que nous donna bientôt M. Rivers, j’eus occasion de constater que la fiancée de mon frère était fort à son avantage dans un salon. Elle chantait avec goût et sans prétention ; elle causait bien, et je remarquai qu’on faisait volontiers cercle autour d’elle. Mon frère, arrivé un des derniers, s’était à peine approché d’elle, que tout changea d’aspect. Elle l’accueillit avec un embarras