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— À propos, me dit Blanche, Hugh ne vient plus nous voir… Je crains bien qu’il ne s’oit fâché contre nous… J’en aurais vraiment du regret, car dans cette affaire du testament il s’est conduit à merveille… Bien, peu d’hommes à sa place eussent agi comme lui.

Je manifestai le regret que me causait la brouille dont me parlait Blanche, ajoutant que mon frère n’y avait jamais fait, en ma présence, la moindre allusion.

— Oh ! reprit Blanche, n’allez pas croire à la moindre brouille entre nous. Seulement, il y a quelques semaines, Hugh a prié Herbert de lui avancer, pour un ou deux mois, une somme assez forte dont il avait besoin. Or, comme nous nous imposons pour règle absolue, Herbert et moi, de rester étrangers à toute opération commerciale et de ne rien risquer de ce qui appartient à nos enfans, nous avons dû nous refuser à ce désir. Il a paru très contrarié de ce refus, et n’a pas reparu chez nous depuis lors. J’espère bien qu’il aura trouvé cet argent ailleurs. Il en paraissait très pressé, et Herbert ne doutait pas que ses affaires à ce moment ne fussent dans un état critique… Aussi aurions-nous fait l’impossible pour lui procurer au moins une partie de ce prêt… Par malheur il tombait dans un mauvais moment… Nous venions d’avoir énormément de dépenses à faire… Mais je tiens à ce que Hugh soit informé par vous que nous serons toujours heureux de le voir.

— Oui, très heureux, ajouta mistress Flinte du fond de la bergère où elle était à moitié ensevelie… Nous avons toujours eu la meilleure opinion de lui, et j’espère bien qu’il parviendra…

Il était rare que mistress Flinte s’imposât la fatigue d’un aussi long discours, et je me hâtai de sortir, promettant de rapporter fidèlement à qui de droit ces affectueux messages. Je ne puis décrire l’espèce de soulagement que j’éprouvai en quittant ce magnifique salon, cette grande rue solennelle, et en me retrouvant dans ma chambrette, où Ruth m’attendait et où mon gentil marmot réchauffa de ses lèvres tièdes mes joues saisies par la bise d’hiver. Hugh arriva peu après, et quand je lui rendis les paroles de mistress Herbert :

— C’est vrai, dit-il, rougissant malgré lui ; j’ai été un peu désappointé de ce refus imprévu. Je ne savais, pour le moment, de quel bois faire flèche, et j’avais compté sur eux, me croyant quelques droits à leur bon vouloir : il paraît que je me trompais ; mais voyez-vous, Grisell, il faut s’y faire. Le monde est ainsi bâti… Du reste, ajouta-t-il gaiement, j’ai pu me passer d’eux, et dès-lors je leur pardonne. J’irai demain faire ma paix avec Blanche. Si par suite de leur étrange procédé je m’étais trouvé à terre, il est probable que je serais moins indulgent. Au surplus, il est bon d’apprendre à ne compter que sur soi-même, et surtout à se méfier de ceux qu’on a obligés. »