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et extérieurs entre les générations considérées de deux en deux. La métamorphose porte donc non pas sur les individus, mais bien sur les générations elles-mêmes. Les choses se passent ici comme si la chenille, au lieu de se transformer, mettait au monde des papillons tout formés, lesquels enfanteraient à leur tour des chenilles. C’est une véritable alternance de générations, et chez tous les biphores la reproduction est soumise à cette loi. Par conséquent chez ces mollusques l’espèce ne peut plus être déterminée par les’ divers caractères que présente pendant toute sa vie un seul individu ; il faut réunir ceux de deux individus appartenant à deux générations successives, et décrire deux formes au lieu d’une[1].

Les faits annoncés par Chamisso parurent à peine plus croyables que ses Aventures de Pierre Schlémihl. On les nia d’abord, puis, à mesure que des observations nouvelles les confirmaient de plus en plus, on chercha à les interpréter ; mais tant qu’ils furent isolés, il était impossible d’en saisir la véritable signification. Ces observations laissaient d’ailleurs dans l’histoire des biphores une lacune qui n’a été comblée que bien tard par les travaux de MM. Krohn[2], Huxley[3], Leuckart[4], Vogt[5], travaux dont nous parlerons tout à l’heure. Aussi, bien moins heureux que Peyssonel, Chamisso mourut-il non-seulement sans voir adopter ses idées, mais encore sans avoir pu comprendre lui-même la grandeur de sa découverte.

Les observations de Chamisso, d’abord forcément incomprises, les faits bien plus obscurs encore annoncés dès 1818 par un des

  1. Voici quelques passages du mémoire de Chamisso qui prouvent que je ne fais pas tenir à ce naturaliste un langage autre que le sien : « Quà seposità (salpa bicorni) alternationem generationum legem esse ut posuimus genericum, omnibus communem speciebus, observationibus innititur. » — « Talis speciei metamorphosis generationibus in salpis duobus successivis perficitur, forma per generationes (nequaquam in prole seu individuo) mutatà. Verum enim vero quà lege proles salparum, ut animal ab ovo, imago a larvà, inter se différunt, parum elucet. » (De Salpis.) — « Es ist als gebaere die Raupe den Scbmetterling und der Schmetterling hinwiederum die Raupe. » (Reise um die Erde.) M. T. Huxley, qui le premier, je crois, a rendu complètement justice à Chamisso, cite ces mêmes passages auxquels on pourrait en ajouter bien d’autres.
  2. Observations sur la Génération et le Développement des Biphores, 1846, Annales des Sciences naturelles.
  3. Observations upon the Anatomy and Physiology of Salpa and Pyrosoma, 1851, Philosophical Transactions.
  4. Zoologische Untersuchungen, zweites Heft, 1854.
  5. Recherches sur les Animaux inférieurs de la Méditerranée, second mémoire, 1855. Bien que M. Vogt vienne en dernier dans l’ordre des publications détaillées, il est juste de dire que ses observations remontent en partie à 1847, qu’elles furent reprises avec une grande constance de 1850 à 1852, et communiquées dans leur ensemble à une réunion de naturalistes suisses. L’abondance même des matériaux recueillis par cet habile et laborieux naturaliste en a pendant quelque temps retardé la publication.