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les lecteurs de la Revue[1], annonça une découverte qui, en étrangeté et en inattendu, ne le cédait en rien à celles du siècle précédent. Chamisso venait de découvrir le mode de reproduction des biphores et de prononcer les mots alternance de génération.

Les biphores (salpa) sont des mollusques marins d’une forme très bizarre et dont il est assez difficile de donner une idée. On peut se les figurer comme un cylindre irrégulier de cristal parfaitement transparent à l’intérieur duquel serait suspendue une masse proportionnellement petite de matière opaque et vivement colorée appelée le nucleus. Celui-ci est formé par la réunion des principaux viscères ; le cylindre représente le manteau des mollusques ordinaires. Il est percé vers ses deux extrémités. L’eau nécessaire à la respiration pénètre par l’une des ouvertures, est chassée par l’autre, grâce aux contractions du manteau, et, sortant avec rapidité, refoule pour ainsi dire en sens contraire l’animal, qui nage seulement à l’aide des mouvemens respiratoires. Depuis assez longtemps, l’attention des naturalistes voyageurs avait été attirée sur ces animaux, dont la phosphorescence se fait remarquer même au milieu des vagues de feu de l’Océan intertropical. Or on les avait vus se montrer tantôt isolés, tantôt réunis en colonies et formant de longs rubans composés d’individus parfaitement semblables. Entre les biphores chaînes et les biphores solitaires, il y avait d’ailleurs toujours des différences très marquées. Ces deux états parurent d’abord propres à distinguer deux groupes parmi ces singuliers mollusques ; ensuite notre célèbre voyageur Péron pensa que les biphores, agrégés dans leur jeune âge, s’isolaient et revêtaient des caractères nouveaux par le fait même du développement. Il admettait ainsi chez eux l’existence de métamorphoses proprement dites, car les différences qui séparent les individus enchaînés des individus solitaires portent aussi bien sur la forme et la disposition des viscères que sur les caractères extérieurs.

Chamisso démontra que ce phénomène était bien autrement compliqué[2]. D’après lui, les biphores sont androgynes et vivipares, ils viennent au monde avec la forme qu’ils conserveront toute leur vie ; mais, chose étrange, une mère solitaire ne met au monde que des enfans réunis en colonies, et ceux-ci à leur tour, n’engendrent que des individus solitaires. Il suit de la qu’un biphore ne ressemble jamais ni à sa mère ni à ses fils, mais toujours à son aïeule et à ses petits-fils. Il y a d’ailleurs identité complète de caractères intérieurs

  1. Voyez l’étude consacrée à Chamisso par M. Ampère, Revue des Deux Mondes 15 mai 1840.
  2. De Animalibus quibusdam è classe vermium linneana. Fasc. prim. De Salpis, 1819.