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semblait résulter que chez les pucerons chaque individu suffit isolément pour assurer la perpétuité de l’espèce. Cependant la zoologie est peut-être de toutes les sciences celle où il faut le plus se tenir en garde contre les généralisations, et Bonnet l’éprouva bientôt. Vers la fin de cette année si riche en curieux résultats, en poursuivant ses études sur les pucerons du chêne, il distingua nettement des mâles et des femelles ; il fut témoin d’actes parfaitement semblables à ceux qu’on observe chez le commun des insectes ; enfin il vit des mères mettre au jour non plus des petits tout formés, mais bien de véritables œufs. Placée dans des conditions favorables, cette espèce lui offrit d’ailleurs les mêmes phénomènes de propagation solitaire et vivipare, déjà si souvent constatés par lui. De nouvelles observations l’amenèrent à conclure que chez les pucerons ce dernier mode de propagation est général pendant toute la belle saison, et que lorsque la température baisse, ces animaux, rentrant dans les conditions ordinaires, se reproduisent par des œufs dont le développement exige le concours d’un père et d’une mère. Ces œufs passent l’hiver collés aux branches d’arbres où se tenait la colonie que le froid a fait périr. Quand ils éclosent au printemps, il n’en sort que des femelles vivipares ; à l’automne se montrent des mâles et des femelles, et à partir de ce moment l’oviparité reparaît[1].

Les faits que nous venons de rappeler s’écartaient trop des idées reçues pour ne pas faire naître bien des hypothèses. Si les pucerons s’étaient toujours propagés solitairement, on aurait trouvé dans l’androgynisme une explication toute prête. On aurait admis chez ces insectes l’existence d’un double appareil organique pouvant agir dans chaque individu comme il agit d’ordinaire chez deux individus de sexe différent : mais l’alternance du mode de génération écartait cette hypothèse. Bonnet, partisan déclaré de la doctrine des germes préexistans, trouva très simple la reproduction solitaire et par petits entièrement formés. Ces derniers furent pour lui des germes qui, largement nourris par la mère pendant la belle saison, pouvaient acquérir un développement complet avant de venir au monde ; les œufs ne furent autre chose que des germes qui avaient manqué de nourriture, et l’intervention du père ne lui parut avoir d’autre but que de leur fournir un supplément d’alimens nécessaire pour passer l’hiver et naître au printemps. Réaumur, plus observateur et moins

  1. De Geer, qu’on peut appeler le Réaumur suédois, Lyonnet, le célèbre anatomiste de la chenille du saule, et plusieurs autres observateurs, ont confirmé cette conclusion » L’un d’eux, Kyber, amis hors de doute l’influence que la température exerce sur ces phénomènes. En plaçant dans une chambre maintenue à une température constante un pied d’œillet garni de pucerons, il vit ces insectes se reproduire constamment et uniquement par génération solitaire pendant quatre années de suite.