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en quelque sorte un oiseau d’un poisson, ont depuis longtemps frappé même le vulgaire.

Malgré les énormes différences que présentent, au point de vue du développement, l’histoire de l’homme et celle du papillon, on constate pourtant entre elles quelques grands traits communs. Chez l’un et chez l’autre, on trouve tout d’abord un père et une mère, des fils qui proviennent directement de ce couple, et qui, pour atteindre à l’état parfait, devront passer par des phases identiques à celles que traversèrent leurs parens. Chez le vertébré comme chez l’annelé, nous voyons d’ailleurs les fils ressembler au père ou à la mère, aux différences individuelles près. Enfin, dans tous les groupes étudiés jusqu’ici, l’individualité de chaque être se manifeste dès la première apparition du germe, dès les premiers rudimens de l’œuf, et persiste pleine et entière jusqu’à la mort, jusqu’à la dissolution de cet être. Tous ces faits sont vulgaires, et, jusqu’à ces derniers temps, ignorans et savans s’accordaient à les regarder comme étant l’expression de règles absolues.

Il nous faut étudier maintenant des phénomènes entièrement nouveaux et bien plus étranges. Nous allons rencontrer des animaux qui, à parler rigoureusement, semblent n’avoir ni père ni mère, mais seulement un parent qui les forme de toutes pièces aux dépens de sa propre substance. Nous trouverons des fils qui ne ressemblent jamais à leur père, et qui produisent des enfans pour toujours différens d’eux-mêmes. Nous verrons surtout un germe unique engendrer, d’une manière plus ou moins directe, non plus un seul individu, ’ mais des multitudes d’individus, et parfois plusieurs générations, qui n’ont entre elles aucun rapport de forme, de structure, de genre de vie. Nous verrons ainsi l’individualité primitive du germe se perdre, et faire place à une foule d’individualités nouvelles avant que les produits de ce germe soient arrivés à l’état parfait. Nous avons donc à parcourir un monde où semblent renversées les lois les plus fondamentales du règne animal, et pourtant le lecteur sera, j’espère, conduit à reconnaître qu’il n’y a point là de contradictions réelles, et que, jusque dans ces écarts en apparence si bizarres, la création vivante conserve une admirable régularité.

Mais en abordant cette partie de ma tâche, je sens combien les difficultés vont grandir et pour mes lecteurs et pour moi. Sans avoir suivi un cours d’anatomie, chacun sait vaguement où sont placés le cœur et les poumons, le foie et l’estomac des mammifères ; on connaît au moins l’extérieur de ces animaux. Parler de leurs transformations, c’est conduire tout homme éclairé vers un ordre d’idées et de faits avec lesquels il est sans doute peu familier, mais où il rencontre au moins quelques points de repère. Arrivés