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ses façons de gentilhomme ; il fit voler en éclats des porcelaines de prix, semblable à un enfant qui se venge de ses douleurs sur des objets inanimés. Ses dépêches se ressentirent de cette première impression ; il soutenait avec amertume que la neutralité était tout au profit des alliés ; il demandait que tous les ports de la Suède fussent fermés aux flottes ennemies : c’était demander l’impossible, ces ports étant fort nombreux et la plupart sans fortifications. Des notes furent échangées, mais dans lesquelles le roi de Suède conserva toujours un langage ferme et digne, et qui ne laissait espérer aucune concession. »

Jusqu’au commencement de 1854, la Russie avait hésité à reconnaître la neutralité suédoise : c’est l’avis de M. Lallerstedt, que nous citons volontiers, parce qu’indépendamment des documens suédois, il a eu, pour composer son livre, des communications particulières d’une incontestable valeur. Cependant l’Autriche s’était empressée de reconnaître et d’approuver cette même conduite de la Suède, et la Russie avait dû renoncer à toute récrimination.

On se rappelle dans quelle attente se passa l’été de 1854. La prise de Bomarsund pendant le mois d’août, bien qu’elle eût son importance au point de vue militaire et politique, et le blocus des côtes de Russie, bien qu’il humiliât cette marine si ambitieuse naguère, ne paraissaient pas tenir complètement les promesses d’un magnifique déploiement de forces maritimes. D’ailleurs les puissances occidentales continuaient à déclarer qu’elles n’avaient pas d’autre but que de garantir l’indépendance de la Turquie, la libre navigation du Danube, et qu’elles n’admettaient pas dans les calculs de leur, politique une guerre tendant à démembrer la Russie, au risque d’enflammer l’Europe. Quel fonds pouvait-on faire sur ces apparentes dispositions ? Était-ce une tactique prudente destinée à cacher des projets ultérieurs et à ménager l’avenir ? Il faut reconnaître qu’il était aisé de s’y méprendre, et qu’une persistante neutralité ne devait point étonner de la part des états secondaires. Cependant la Suède, avons-nous dit, ne se comptait pas comme placée au second rang parmi les puissances intéressées à la guerre, soit qu’elle considérât la satisfaction prochaine peut-être et longtemps désirée de ses ressentimens traditionnels, soit qu’elle examinât de quelle utilité pouvait être aux puissances occidentales son active diversion. La nation suédoise était de feu pour la guerre ; la diète, assemblée pendant toute la fin de 1854, était devenue l’écho de ces dispositions belliqueuses ; sur les marches mêmes du trône, les princes montraient une humeur toute guerrière. C’était au gouvernement de se conduire avec prudence au milieu des difficultés que lui créaient l’incertitude de l’avenir, le voisinage perpétuel de la Russie, la protection difficile et sacrée des véritables intérêts de deux peuples, l’entraînement d’un