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novembre, le ministre des affaires étrangères à Stockholm reçut du ministre de France la lettre suivante : « Monsieur le comte, j’ai l’honneur de vous annoncer que, sur le rapport que j’ai dû faire à mon gouvernement des circonstances de la conversation qui a eu lieu entre sa majesté suédoise et moi, j’ai reçu l’ordre de partir immédiatement pour la France. M. Billecoq, chargé d’affaires, restera à Stockholm pour suivre les affaires courantes de la légation. » Quatre heures après l’envoi de cette lettre, M. de Saint-Simon recevait ses passeports avec une réponse laconique ne témoignant ni surprise ni regret. Un vaudeville avait brouillé deux cabinets ! Le succès étourdissant d’une première, puis d’une seconde édition, achetées pour la Suède, allécha les écrivains français, qui voulurent exploiter cette bonne veine par le Prix de Folie et d’autres pièces encore. Heureusement le gouvernement français restreignit et interdit même cette spéculation, et la nomination de M. le duc de Montebello à la légation de Stockholm en juillet 1834 rétablit les rapports interrompus. La réconciliation était due principalement à l’Angleterre, car cette puissance n’avait pas vu sans une profonde inquiétude une rupture capable de livrer sans retour Bernadotte à la Russie, dont l’influence excessive sur le cabinet de Stockholm pouvait dès-lors paraître grosse de dangers, et dont l’esprit d’envahissement commençait à se montrer au grand jour.

L’influence dominatrice de la Russie et sa perpétuelle ambition, telle était la double menace qui devait à cette époque fixer l’attention des cabinets européens et de la Suède elle-même. Soit que la Russie prévît une rupture prochaine avec l’Occident, soit qu’elle préparât dès lors une agression, il est certain qu’elle faisait d’immenses préparatifs. Au mois de juillet 1834, le célèbre capitaine Ross, passant par Stockholm à son retour de l’extrême Nord, raconta ce qu’il avait vu en Russie. Il y avait à Cronstadt vingt-sept vaisseaux de ligne et quinze frégates, le tout prêt à prendre la mer en quinze jours. Les évolutions de neuf frégates russes, qu’il avait suivies pendant plusieurs jours, lui avaient donné la plus haute idée des perfectionnemens apportés à cette marine. Il était revenu, lui si compétent, émerveillé et presque effrayé d’une telle puissance. Il affirmait qu’une seule idée dominait chez les officiers de la flotte russe, celle de se mesurer contre la marine française, car ils reconnaissaient encore aux Anglais une supériorité marquée sur eux. En même temps la Russie demandait au cabinet suédois de lui céder l’île de Gothland, elle poussait très activement les fortifications des îles Aland, elle multipliait les sourdes intrigues pour s’emparer du Finmark, elle faisait mine de vouloir protéger contre la couronne suédoise l’extrême liberté de la Norvège ; plus que jamais elle surveillait