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et se mêlent, si je veux les fixer sur moi-même ; ma vie est sans direction et sans but… Je veux aller à Jérusalem, parce que c’est un lieu cher à tout chrétien… Et pourtant si le roi de Danemark me permettait de vivre dans ses états, j’y serais peut-être heureux… » Il me raconta enfin qu’il avait voulu récemment se remarier avec une personne dont il avait fait la connaissance à Bâle, que les ministres réformés avaient fait des difficultés, parce que la reine, sa première femme, était encore vivante,… que cette personne, ne pouvant l’épouser, l’avait volé… Tout cela était entrecoupé de larmes, de gémissemens et d’exclamations mystiques… Je fis dîner mon illustre et malheureux hôte. Il fut content du cuisinier et des vins, et perdit seulement alors quelque chose de cet air sombre qui couvait dans ses grands yeux. Enfin il partit après m’avoir plusieurs fois embrassé… » Tel était devenu le dernier roi de l’ancienne dynastie suédoise, le fils de Gustave III ; mais Gustave IV avait un fils dont il avait sans cesse réservé les droits. « J’ai écrit et signé moi-même mon acte d’abdication, écrivait-il au congrès de Vienne en novembre 1814 ; mais je n’ai jamais abdiqué au nom de mon fils : je n’en avais pas le droit… » Neveu de l’empereur de Russie, le prince Vasa, comme on l’appelait, avait là un puissant tuteur, dont la protection pouvait l’aider à faire valoir ses droits ou ses prétentions. Ce fut pour Bernadotte un sujet de vives inquiétudes. Il est certain qu’au lendemain de la seconde restauration française sa situation était bien incertaine et fort menacée. Les saillies récentes de son vieux libéralisme l’avaient de nouveau rendu très suspect aux alliés, et avaient effacé presque entièrement de leur politique la reconnaissance qu’ils devaient à ses anciens services. Les Bourbons en particulier, pour qui il avait affiché un si profond dédain, oubliaient sa lutte acharnée contre Napoléon, et ne voyaient plus en lui que le vieux jacobin élevé par hasard sur un trône. Son élévation était à leurs yeux l’unique témoignage subsistant encore de l’époque révolutionnaire. On pouvait craindre qu’ils n’eussent hâte de rendre la vieille couronne de Suède aux héritiers de ce Gustave III qui avait pris leur cause avec tant d’ardeur contre la révolution : cette réparation manquait seule pour rétablir l’ancien ordre de choses et faire disparaître enfin les dernières traces de la tourmente. — Mille bruits alarmans circulèrent en effet en Suède pendant les derniers mois de 1815 et pendant toute l’année suivante : les alliés préparaient une descente en Scanie, disait-on ; ils rencontreraient de nombreux partisans du prince Vasa, qu’ils voulaient rétablir ; on ajoutait que le prétendant venait d’être nommé gouverneur de la Finlande ; il avait déjà fixé son quartier-général à Helsingfors ; à l’intérieur enfin, les ennemis du prince royal faisaient circuler des bruits de conspirations