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chrétiens cependant séparent M. Montanelli de ses amis. Sans égards pour ses souffrances et pour son malheur, ils hurlent à ses oreilles, par dérision, le cri de Vive Pie IX, et l’emportent dans un des hôpitaux de Mantoue. À Florence, on le crut mort. Ce fut un deuil public dans toute la Toscane. On lui fit de magnifiques funérailles. La ville de Brescia sollicita l’honneur de rester dépositaire de ses restes mortels. Les journaux de l’Italie et même les journaux étrangers, partageant l’erreur commune, payèrent au généreux combattant de Curtatone un juste tribut d’éloges. La postérité avait déjà commencé pour lui.

La mise en liberté de M. Montanelli à la suite de l’armistice Salasco, son entrée dans le parlement de Florence, le rôle qu’il joua comme gouverneur de Livourne d’abord, puis comme dictateur, enfin son exil, nous montrent les dernières scènes et le dénoûment du drame, commencé au milieu des brillantes manifestations de Rome et des combats héroïques livrés dans les plaines lombardes. Nous sommes là au milieu d’épisodes trop connus pour qu’il soit utile d’insister sur cette dernière partie d’un livre que nous avons voulu faire juger par quelques-unes de ses pages les plus caractéristiques. Si nous avons parlé des Mémoires de M. Montanelli, c’est surtout, nous le répétons, à cause des aveux sincères qu’ils contiennent sur les causes de faiblesse contre lesquelles doivent se prémunir les partis italiens. Il y a aussi dans ce livre, outre l’intérêt politique, un intérêt littéraire que nous ne saurions omettre de constater en finissant. Deux styles, on pourrait dire deux langues, se partagent la littérature italienne. Il y a la langue académique et la langue populaire. Les Mémoires de M. Montanelli sont un plaidoyer en faveur de cette dernière. Quelle est la portée du débat que ce livre soulève ? Pour la bien préciser, il faut se rappeler que la langue académique, la langue des grands écrivains de l’Italie, est si peu conforme au génie analytique des temps modernes, que partout elle a cédé la place aux dialectes provinciaux. En Toscane même, la seule province où il n’y ait pas de dialecte, la langue parlée diffère profondément de la langue écrite. Le moment ne serait-il pas venu cependant de faire cesser ce divorce ? Si la langue écrite se rapprochait de la langue parlée, ne ferait-elle pas disparaître les dialectes, et cette réforme favorable à l’unité politique ne serait-elle pas, en définitive, bienfaisante aussi pour les lettres ? Telle est la question qui se pose depuis quelques années dans la’ littérature italienne. Nous pensons, quant à nous, que la réforme en question doit être encouragée par tous les amis de l’Italie. Il ne s’agit point pour elle d’ailleurs de renoncer à ses traditions littéraires : l’illustre académie de la Crusca saura toujours les maintenir ; il s’agît seulement d’introduire dans le domaine de la littérature la langue parlée, la langue populaire, à côté de la langue académique, et c’est aux Toscans qu’il appartient surtout de réaliser cette réforme, à eux qui ont toujours parlé la langue des maîtres sans la transformer en patois. Si les esprits peuvent se partager sur la puissance des moyens de régénération politique proposés par les divers représentai du libéralisme italien, il ne peut y avoir qu’une opinion sur l’utile influence de la réforme littéraire dont M. Montanelli s’est fait l’avocat. Sur ce terrain, il ne saurait, nous le croyons, trouver de contradicteurs, et son livre, à ce point de vue encore,