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ils m’offrent trop peu d’argent. Je crois qu’ils traînent les choses en longueur, dans l’espoir de prendre Védeno et de délivrer les prisonnières.

« — Iman, il m’est impossible de répondre à ces questions devant témoins.

« — C’est bien ; nous verrons plus tard, répondit Chamyl, qui ne pensait point devoir souscrire à cette demande. Et il congédia l’interprète. »


Cependant le lendemain soir l’entrevue secrète qu’il demandait si instamment lui fut ménagée à une heure assez avancée de la soirée ; mais Chamyl, tout en paraissant souhaiter cet entretien ; semblait craindre d’être surpris par les siens.


« — Dans le cas même, dit alors Gramof à Chamyl d’un air mystérieux, où les princes auraient un million de roubles, ils ne vous le donneraient pas.

« — Pourquoi cela ?

« — Parce que l’empereur ne leur permettrait pas de vous fournir des ressources aussi considérables pour la guerre. D’ailleurs ils sont fiers et ne reviendront jamais sur ce qu’ils ont dit une première fois. Enfin, permettez-moi de vous le dire, vous devriez être satisfait de la gloire que vous allez acquérir en obligeant les Russes à vous rendre ce fils qu’ils vous ont enlevé les armes à la main. Il en sera question dans toute l’Europe, et on écrira dans les journaux que vous avez triomphé des Russes.

« — C’est juste ; mais l’argent est aussi une bonne chose, reprit Chamyl avec un sourire.

« — Croyez bien, iman, que tout en servant les princes auxquels je suis dévoué, je ne voudrais point vous désespérer. Qui sait ? Peut-être suis-je destiné à tomber aussi un jour entre vos mains…

« — C’est bien, lui dit Chamyl après une pause. Je vais tâcher d’en finir avant demain soir avec le peuple. Tu sais bien, ajouta-t-il, que sans son consentement je ne puis rien conclure. Je te laisserai partir après-demain avec une réponse définitive. »


L’interprète sortit ; mais le lendemain à neuf heures il fut de nouveau introduit devant Chamyl, qui était entouré de montagnards. Dès qu’il aperçut Gramof, l’iman se tourna de son côté.


« — Isaï-Bek il faut que je te félicite. Voici mon secrétaire. — Et il lui montra un homme assis devant un cahier de papier. — Je me dispose à écrire au prince Orbéniani. L’argent, c’est comme l’herbe qui se dessèche. Nous n’adorons point l’argent, mais Dieu.

À ces mots, tous les assistans prirent une attitude recueillie et attentive. Chamyl continua sur le même ton : — Je n’en écrirai pas long, je ne vous imiterai pas en cela ; mais tu répéteras de ma part au prince ce que je lui annonce dans cette lettre : Dieu est miséricordieux ; que mon fils revienne, et je rendrai les princesses.

« L’interprète se retira, mais il fut bientôt rappelé pour recevoir la lettre de Chamyl. Celui-ci lui remit aussi une lettre des princesses pour le prince Tchavtctiavadzé, et dont il avait pris connaissance. Il enjoignit à Gramof de mettre ces deux lettres en sa présence dans un paquet sur lequel il apposa