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toute la vigueur, toute la franchise d’expression qui nous émerveillaient en 1832. Dans le domaine de la vraie poésie, je veux dire dans le domaine du sentiment et de la rêverie, il ne s’est pas montré supérieur à lui-même, mais il n’a pas fléchi, et cet éloge, répété par des milliers de bouches, est une gloire assez belle pour contenter son ambition. J’ai dit ce que je pense de la partie philosophique du nouveau recueil, et je crois avoir justifié mon opinion. La partie polémique est un hors-d’œuvre. Toutes ces prémisses préparent une conclusion que chacun a pressentie : pour faire des Contemplations un livre que les femmes liraient et reliraient avec délices, que les hommes de goût étudieraient avec admiration, il faudrait les émonder, comme un taillis trop touffu. À cette condition, les Contemplations deviendraient, pour la génération présente et pour les générations prochaines, une des œuvres les plus intéressantes de la poésie moderne. Quelles branches faudrait-il couper pour rendre à la sève toute son énergie ? Je ne voudrais pas prendre sur moi de le dire, mon goût pourrait ne pas s’accorder avec le goût des lecteurs. Cependant je pense que les moins exigeans demanderaient le sacrifice d’un tiers. Le poète s’y résignerait-il ? embrasse-t-il dans une même affection tous les fruits de sa pensée ? renoncerait-il sans regret à ses ébauches philosophiques ? Ces questions ne sont pas de ma compétence et dépassent ma pénétration. Je me contente de les poser ; mais ceux qui aiment le talent de M. Victor Hugo, ceux qui l’admirent, ceux qui recueillent avidement chacune de ses paroles et voient en lui un des maîtres les plus habiles de l’art contemporain, doivent souhaiter que notre vœu s’accomplisse. Si l’on retranchait des Contemplations toutes les pages qui ne relèvent ni de l’émotion ni de la rêverie, la puissance de cette nature privilégiée se révélerait dans toute sa splendeur. Les pages dont je demande le sacrifice sont à la poésie ce que la brume est à la lumière. Le poète n’a qu’un mot à dire, et la brume se dissipera. Nous jouirons librement de sa pensée, les images éclatantes, qu’il choisit avec tant de bonheur, arriveront jusqu’à nos yeux dans toute leur pureté. Ce n’est pas un conseil qu’il s’agit de suivre, c’est une prière qu’il s’agit d’exaucer. Dire à l’auteur des Contemplations que toutes les pages de son nouveau recueil ont la même valeur, offrent le même intérêt, qu’il n’en faut pas retrancher une seule, c’est le moyen le plus sûr d’entamer l’autorité de son nom. Ceux qui éprouvent pour lui une sympathie sincère ne peuvent hésiter. Il est assez riche pour sacrifier quelques milliers de vers : en se rendant au vœu de ses meilleurs amis, il n’a pas à redouter l’indigence.

En lisant les dernières paroles que je viens d’écrire, j’espère que le lecteur ne se méprendra pas sur mes intentions. On m’accusait ces jours derniers d’insulter Pindare en exil ; je ne veux pas descendre