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II

En Portugal comme en Espagne, la propagande révolutionnaire avait si peu entamé le paysan, la facilité de la vie dans ces climats privilégiés et la charité, à bon marché prodigue, des couvens rendaient pour lui si tolérables les exactions de la féodalité ecclésiastique et laïque, — il était, en un mot, si peu fait à l’idée qu’une société pût subsister sans moines et sans seigneurs terriens, qu’il avait d’abord accueilli le nouveau régime avec ce mélange de défiance et de stupeur que provoque l’invraisemblable. Le miguélisme, bien secondé en cela par les gratuites maladresses de langage de certain libéralisme, avait eu aisément raison de ces imaginations frappées ; mais le sens politique des masses ne réside pas tout entier dans l’imagination, il loge aussi, qu’on nous passe le mot, dans le ventre, et l’expérience ayant démontré que l’invraisemblable devenait possible et même normal, que la cloche de la paroisse sonnait messe et vêpres comme autrefois, que le ciel partageait indistinctement le soleil et la pluie entre le champ de l’acquéreur de biens nationaux et celui dont le propriétaire laissait pieusement pourrir le dixième de la moisson sur place, les paysans en étaient peu à peu venus à conclure que Dieu restait au moins neutre dans la question, et à prendre la révolution pour ce qu’elle était, c’est-à-dire pour un immense dégrèvement.

La moyenne des charges imposées à la propriété foncière est aujourd’hui, si l’on veut, à peu près la même qu’autrefois ; mais l’impôt actuel est réparti moins inégalement et sur un plus grand nombre de propriétaires et de fermiers, ce qui a permis de limiter le maximum des cotes foncières au dixième du revenu. Pour les propriétés grevées, par exemple, du cens appelé reguengo, pouvant s’élever, nous l’avons dit, jusqu’à 25 pour 100 du produit brut, et auquel venaient successivement s’ajouter la dîme du clergé et la dîme royale, ensemble 20 pour 100, le nouveau régime réduisait donc l’impôt dans la proportion de 45 à 10, ou de sept neuvièmes, en même temps qu’il augmentait le revenu dans celle de 55 à 90, ou de sept onzièmes. Ajoutons que le paysan, qui, sous le système féodal, osait à peine aborder la culture des terres de première classe, trouve aujourd’hui profit à défricher celles de seconde, et même de troisième classe, ce qui constitue pour lui un autre accroissement de revend.

Dans ces progrès forcément inégaux, comme les vieilles exactions auxquelles ils correspondent, quelle est la part du bien-être général ? Les relevés de la population, les seuls qui, dans la statistique portugaise, remontent un peu haut, nous fourniront à cet égard une