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la prélevaient, n’en donnaient aux curés qu’une part minime, et souvent inférieure à leur traitement actuel. Le casuel proprement dit et les offrandes volontaires, en argent ou en nature, avaient fini par constituer le véritable revenu de ceux-ci. La nouvelle législation n’ayant pas tari ces deux sources[1], les curés se trouvaient de fait avoir gagné en indépendance et n’avoir rien perdu comme bien-être à passer de la parcimonieuse tutelle des bénéficiers sous le patronage indigent de l’état.

Restaient les gros bénéficiers ecclésiastiques (abbés, chanoines et prélats) et les moines. Les premiers ne formaient qu’une insignifiante minorité, et les seuls d’entre eux qui auraient pu exercer sur la masse du clergé séculier et des fidèles un dangereux ascendant, — les évêques miguélistes, — s’étaient mis eux-mêmes hors de cause en résignant leurs sièges à la suite de l’arrangement conclu entre le gouvernement de dona Maria et la cour de Rome. Quant aux moines, s’ils paraissaient redoutables par leur nombre, ils cessaient de l’être par leur dispersion. Beaucoup avaient d’ailleurs fini par se placer dans le clergé paroissial, ce qui les intéressait au nouvel ordre de choses. Les dons volontaires des fidèles, ajoutés au produit de quelques messes, sont venus compenser pour les autres les irrégularités de paiement et les retenues partielles de leur pension alimentaire. Enfin le temps, à qui revient le premier rôle dans l’apaisement de griefs essentiellement personnels et viagers, avait, dès 1846, considérablement éclairci les rangs ou amorti l’activité de l’ancien personnel des couvens. Le chiffre annuel des allocations dues aux anciens moines, qui s’élevait en 1836 à 285 contos de rets[2], ne figure plus que pour 134 contos dans le budget de 1849, et pour 92 contos dans celui de 1856. En 1849, l’âge moyen de ces pensionnaires dépassait déjà 52 ans.

Le mobile, la cohésion, le nombre, faisaient donc tout à la fois défaut dès 1846, et à plus forte raison en 1854, aux deux ou trois groupes d’intérêts dont se composait originairement le miguélisme. Il ne se serait pas désagrégé de lui-même, que son écroulement était désormais inévitable. Le paysan n’était plus miguéliste, et, chose doublement rassurante, le vide qui s’était lentement et silencieusement opéré sous le vieux sol contre-révolutionnaire des campagnes était, comme on va voir, assez large pour servir à la fois de tombe au radicalisme naissant et à l’absolutisme caduc. La liberté se trouvait du même coup soustraite à deux périls opposés.

  1. La révolution les avait plutôt activées en surexcitant par une apparence de persécution le zèle religieux des paysans.
  2. Le conto de reis représente environ 6,000 francs.