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celle-ci et la nouvelle noblesse, mise au maigre régime de titres viagers, tout au plus à deux vies[1], et sans majorats.

La révolution n’avait pas été de beaucoup aussi inoffensive pour les intérêts matériels de l’ancienne noblesse et du clergé ; elle avait supprimé les couvens, confisqué leurs biens, aboli les dîmes ecclésiastiques, les droits seigneuriaux, les commanderies (espèces de bénéfices laïques qui avaient encore la dîme pour base), les droits royaux (mélange fort complexe de redevances territoriales, municipales, judiciaires, qui étaient censées comprises dans l’apanage de la couronne, mais que celle-ci abandonnait de temps immémorial, soit à vie, soit indéfiniment, à la noblesse) ; les capitanias-mores, les alcaldias-mores, enfin, d’innombrables privilèges de toute nature qui venaient à la file rançonner au profit des grands, des simples fidalgos, des couvens, des confréries, des chapelains, des abbés, des prélats, tantôt le simple paysan, tantôt le marchand, tantôt l’ouvrier, et dont quelques-uns absorbaient jusqu’au quart du revenu brut[2]. En démolissant l’édifice, la révolution faisait, il est vrai, de son mieux pour ne pas blesser les habitans. Elle mettait à la charge de l’état les traitemens du clergé séculier, pourvoyait à la subsistance des moines et religieux décloîtrés, et dédommageait les bénéficiers tant ecclésiastiques que laïques en restituant aux premiers, sous forme de pensions viagères, l’équivalent exact de ce qu’ils avaient perdu, et en offrant aux seconds la toute propriété de biens nationaux d’un revenu moyen égal à la moitié du revenu moyen des commanderies supprimées. Ce dernier mode d’indemnité, pour lequel l’état engageait même ceux des biens dits de la couronne dont il n’avait pas aliéné la jouissance, fut bientôt étendu à toutes les catégories de droits seigneuriaux. — Assez équitables, comme on voit, en principe, ces compensations étaient par malheur devenues à peu près illusoires en fait[3].

Pour simplifier le service des indemnités, pour faciliter le fractionnement des biens nationaux et surtout pour se faire une ressource immédiate de ces biens, le gouvernement avait émis des titres recevables en paiement des lots cédés. Or les obligations urgentes à couvrir (frais de guerre, dédommagemens aux émigrés et aux anciens privilégiés du parti libéral, etc.) étaient si nombreuses,

  1. La loi n’a pas ôté à la couronne le droit de conférer des titres perpétuels ; mais en fait, et à part deux ou trois exceptions, les titres créés par le nouveau régime ne s’étendent qu’à la seconde génération, quand ils ne sont pas purement viagers.
  2. C’est la proportion qu’atteignaient, par exemple, les reguengos, espèce de cens qui grevait certaines terres.
  3. La faute n’en peut être imputée au ministre Mousinho de Silveira, auteur des décrets dont il s’agit, et qui fut renversé avant même d’avoir pu les mettre à exécution.