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dans l’ordre d’apparition des êtres, la trace et le véritable sens du progrès qui s’est opéré dans le développement des formes organiques : l’on risquerait autrement de se heurter contre les anomalies les plus bizarres et les plus inexplicables. On rechercherait en vain l’indice d’un progrès continu dans le développement de toutes les familles considérées isolément, et le progrès ne se manifeste que dans l’ordre de succession des grandes classes animales qui ont été successivement prédominantes sur le globe.

Chacune des périodes de l’histoire de notre globe est en effet caractérisée par une faune particulière où, dans la multitude et la confusion des êtres, on finit par reconnaître la suprématie de certains d’entre eux. Quand les révolutions du globe ont altéré profondément les relations naturelles, l’empire passe à d’autres formes organiques déjà mises pour ainsi dire à l’essai par la nature, et dont nous retrouvons quelques rares représentans dans les couches qui s’étaient déposées à la fin de l’époque précédente. Ces formes prennent bientôt un développement extraordinaire, et par leur abondance, leur variété, leur puissance, impriment à l’ère nouvelle un caractère spécial. Celles qui étaient autrefois prédominantes sont souvent mises au rebut, se détériorent, se dégradent ; les genres finissent par disparaître ou se trouvent réduits à quelques espèces, parfois à une seule, isolée et comme perdue au milieu d’êtres nouveaux Cependant les types supérieurs particuliers aux diverses époques se rapprochent toujours d’une plus grande perfection organique, et ce n’est qu’en contemplant cette longue succession dans toute son étendue qu’on perd de vue les décadences partielles, et qu’on arrive à saisir la trace du vrai progrès naturel.

Quelque chose d’analogue se retrouve dans l’histoire de l’humanité elle-même. Que de contrées, aujourd’hui frappées d’abandon, ont été autrefois habitées par des nations puissantes, dont les monumens, les langues, les religions, sont devenus pour nous des énigmes ! Dans l’antique Égypte, la population des vivans n’est rien auprès de ce peuple de morts oublié dans l’humide silence des demeures souterraines : le sable du désert s’accumule chaque jour autour des colonnes, des obélisques, des propylées, des temples, dont les ruines nous imposent encore, après tant de siècles, ce respect qui frappait Hérodote au temps où les foules pressées venaient y recevoir l’enseignement sacré des prêtres qui avaient initié l’historien grec à quelques-uns de leurs secrets. À Ninive, c’est sous le sol même, formé de débris accumulés, qu’il a fallu chercher ces taureaux ailés, à tête humaine, symboles gigantesques de la force physique unie à l’intelligence, et ces bas-reliefs innombrables où se lisent les mœurs, les guerres, les arts d’un peuple autrefois redouté, et dont