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que ce que nous nommons ordinairement une bélemnite n’est que l’os intérieur d’un mollusque céphalopode analogue aux sèches et aux calmars actuels. Ce bout de lance brisé éveille désormais la pensée d’un puissant animal, avec une tête distincte du reste du corps, des yeux, une bouche armée de deux mâchoires cornées en forme de bec, qu’on retrouve encore quelquefois. Tout autour de la bouche s’agitaient dix bras flexibles et charnus ; deux d’entre eux étaient extrêmement longs et bordés de sortes de ventouses à crochet qui permettaient à l’animal de saisir sa proie ; deux grandes nageoires dessinaient comme un cœur au bout du rostre, logé dans l’extrémité inférieure du corps. On se représente ce mollusque singulier nageant la tête en arrière et fendant les eaux avec son rostre élancé, ou bien la tête en bas, rampant au fond de la mer en tous sens à l’aide de ses bras.

Le développement de la science nouvelle que l’on nomme aujourd’hui paléontologie a suivi des phases diverses qu’il ne sera pas inutile d’indiquer avant de nous placer en présence de quelques-unes des questions qui en ce moment sont l’objet principal de ses efforts. La paléontologie méritait à peine le nom de science à l’époque où les coquilles fossiles n’étaient guère que des sujets de dessins, et servaient à faire des collections où ne présidait aucune classification rigoureuse. Elle ne sortit de cet état d’enfance qu’à la suite des premiers progrès de la géologie stratigraphique[1], dont Werner fut l’illustre fondateur, et avec l’aide de la zoologie. Depuis ce moment, elle a suivi en quelque sorte un double courant, suivant qu’elle était plus spécialement considérée comme une extension de la zoologie proprement dite ou qu’on la subordonnait à l’étude des formations géologiques. C’est aux zoologistes, pour lesquels la classification des terrains à l’aide des fossiles n’a été qu’une question tout à fait secondaire, que la paléontologie doit sans contredit ses plus grands progrès, c’est grâce à eux qu’elle a pu servir d’auxiliaire utile à la stratigraphie. Lamarck a étudié le premier d’une manière vraiment scientifique les coquilles fossiles, sans se préoccuper le moins du monde de leur position géologique ; on n’a jamais séparé complètement depuis les considérations géologiques des considérations zoologiques, mais ce sont certainement ces dernières qui ont agi le plus fortement sur l’esprit de Cuvier, de Geoffroy Saint-Hilaire et de Blainville. L’ensemble des ossemens et des coquilles fossiles a été pour eux un arsenal où ils allaient chercher des armes à l’appui de la théorie que leur avait d’abord suggérée l’ensemble des formes organiques actuellement existantes. La paléontologie venait pourtant

  1. Ou appliquée à l’étude de la superposition des couches terrestres.