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— Voyons, Grisell,… recommença-t-il, mais cette fois en me laissant le passage libre. Voulez-vous,… dites ?

Hélas ! je l’aimais encore plus que moi-même, car je me retournai pour lui dire : — Je ferai, monsieur, ce que vous attendez de moi. Si je ne réussis pas, ne m’en gardez pas rancune.

Ses remercîmens empressés, la hâte qu’il mit ensuite à s’éloigner, tout cela me fit mal. Cet homme, je le vis bien, ne m’avait jamais aimée. Je me le répétai plus de vingt fois de suite avec une sorte de satisfaction farouche. Mieux vaut, je l’ai toujours pensé, une vérité cruelle qu’un mensonge flatteur.

Mon père m’attendait dans son cabinet. Il me parla de M. Langley avec un mépris austère qu’il ne pouvait être question de combattre en ce moment. Je regagnai ensuite la chambre que je partageais avec Marian, et je l’y trouvai dans les ténèbres. À peine assise sur mon lit, je la vis venir à moi toute en larmes et s’agenouiller à mes pieds. Elle me prit les mains, me les baisa,… je sentis ses tièdes pleurs mouiller mes doigts crispés,… tout cela sans être émue. Seulement à ses profonds sanglots il y avait dans mon cœur comme un écho douloureux. Tout ce que je pus faire fut de répondre par quelques bonnes paroles à ses adjurations passionnées, et de passer une main caressante sur ses cheveux épars. Néanmoins l’accent de ma voix avait malgré moi quelque chose de contraint et de rude qui contrastait étrangement avec mes assurances d’affection et de dévouement fraternel. Aussi n’en pleurait-elle que plus fort. Que faire à cela ? Je ne pouvais, à elle, dévoiler mon cœur tout entier, et lui demander les consolations dont ce cœur avait besoin. Force m’était de me réfugier derrière les apparences d’une froideur inerte, apparences qu’elle savait menteuses, et qui devaient lui sembler l’hypocrisie de la colère. J’espère cependant qu’elle ne me méconnut pas à ce point ; mais je l’ignore, ces explications ayant été entre nous les premières et les dernières.

Le lendemain et les jours suivans, je me plongeai avec une ardeur obstinée dans la routine de mes travaux domestiques. Je ne m’arrêtais pas, afin de n’avoir pas à réfléchir. Je vis Marian mettre de côté furtivement les livres de M. Langley et dérober à tous les yeux ce trésor sur lequel elle avait des droits. Je m’expliquais parfaitement le calme avec lequel elle supportait le froid mécontentement de mon père et le silence désapprobateur que ma mère gardait vis-à-vis d’elle. Restait ma promesse à tenir. Je plaidai leur cause avec le ferme désir de la gagner. Peu à peu la pitié m’avait prise à voir les joues de Marian se décolorer, et ses beaux yeux bleus s’ouvrir le matin voilés encore des larmes répandues pendant la nuit. Elle me croyait maîtresse de sa destinée. J’eus grand’peine