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rentrer ensemble au salon : c’était mon père qui arrivait ; mais il n’était pas seul : le cousin Harley était avec lui. Triste retour en vérité ! froides étreintes, paroles gênées, pensées qu’on n’osait exprimer. Mon père, en un mois, avait vieilli de dix ans. Sa chevelure avait blanchi, sa voix s’était affaiblie. Il nous conta ses anxiétés, ses fatigues, et comment le cousin Harley était accouru pour prendre sa part des unes et des autres. Je ne pus m’empêcher de jeter à Harley un coup d’œil reconnaissant. Lui cependant me sembla plus froid, plus réservé que de coutume. Peut-être, me trompais-je. En effet, le lendemain matin, avant de repartir pour Edimbourg, seul avec moi dans le salon, il me parla tout aussi affectueusement que par le passé.

— En toute occasion, me dit-il, vous savez, j’espère, Grisell, où vous trouveriez conseil et assistance. Je serai toujours prêt à vous venir en aide, ne l’oubliez pas. Près ou loin, cela n’y fait rien. Je n’ai pas au monde un plaisir plus grand que celui de me dévouer à vous. Voilà qui est entendu, n’est-ce pas, cousine ?

— Oui, répondis-je, mes yeux levés vers les siens. Je ne connais personne à qui je voulusse m’adresser plutôt qu’à vous.

— Vrai ? bien vrai, Grisell ? — Et je sentis ma main fortement pressée dans la sienne.

— Cela est tout simple, repris-je ; songez donc !… une si vieille affection !… Vous êtes pour moi comme un frère aîné.

Il laissa retomber ma main, et alla vers la fenêtre. Presque aussitôt, revenant à moi, il reprit cette main abandonnée. — Je ne vous en veux pas, Grisell. — Et il la pressa de nouveau. — Mais vous n’oublierez pas votre promesse ; je puis y compter ?… — Enfin il m’embrassa sérieusement, en vieux cousin, et me quitta sans vouloir dire adieu à mon père.

Il fallait bien se résigner à regarder Alan comme perdu ; son nom ne fut plus prononcé parmi nous. Pendant l’hiver qui suivit, toutes les fois que la neige entourait la maison, lorsque les soirées étaient plus froides ou plus orageuses que de coutume, notre mère, rompant un long silence, laissait échapper des soupirs qui ressemblaient à des gémissémens. Mon père, en ouvrant le journal, cherchait toujours du premier regard ces colonnes où s’entassent les récits tragiques, les aventures extraordinaires, les catastrophes exceptionnelles, qu’on voit se produire, de plus en plus nombreuses, au sein de notre civilisation si vantée ; mais le nom d’Alan n’y figurait jamais.


III

Au mois de mai suivant, par une belle après-midi (je ne l’ai pas oublié), je lisais à M. Langley une traduction de l’italien, lorsque