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jusqu’à ce jour compatible qu’avec une gestion entièrement maîtresse de son initiative et liée au succès des affaires par le double intérêt et le double sentiment de la propriété et de la responsabilité ? Dans le cas où l’on se prononcerait pour l’affirmative, conviendrait-il de laisser exclusivement s’enfanter et se grouper autour d’une seule banque-mère les sociétés anonymes, ainsi étendues à toutes les branches de l’industrie ? Si les économistes et les jurisconsultes s’accordaient en effet à regarder la société anonyme comme compatible avec toutes les entreprises d’industrie et de commerce, il serait urgent, avant que la société générale de Crédit mobilier eût inauguré cette nouvelle phase de notre vie économique, d’examiner s’il n’y aurait pas lieu en France, comme on y songe en Angleterre, de réformer notre législation sur les sociétés commerciales, et de faire de la responsabilité limitée, non plus le privilège de quelques compagnies, mais une faculté ouverte à toutes les entreprises.

Nous nous bornons à laisser pressentir l’immense portée des problèmes que soulèverait la réalisation complète du système de la société générale de Crédit mobilier. Nous en avons assez dit pour montrer que la question des obligations renferme pour ainsi dire le nœud des destinées de cette institution. Le caractère de la société générale dépendra de la solution qui sera donnée à, cette question. Dans son état présent et tant qu’elle n’aura point multiplié les ressources de son capital par celles de ses emprunts, la société de Crédit mobilier n’est qu’une puissante maison de banque : sagement conduite, elle peut être très utile au crédit publient au crédit commanditaire, soit en ralliant l’action des banquiers et des capitalistes qui se joignent à elle, soit en stimulant les banquiers et les capitalistes isolés par une concurrence qui, dans les conditions actuelles, n’est point encore l’écrasante oppression d’un monopole. Avec l’émission des obligations, la société de Crédit mobilier se transforme ; elle atteint à une situation exceptionnelle et prépondérante, et alors doivent éclater les tendances, et, dans notre opinion, les vices et les périls que nous n’avons eu jusqu’à présent à discuter que dans les limbes de l’hypothèse. Mais nous ne sommes point encore en mesure de porter un jugement définitif sur la société générale ; car, nous adressant d’abord à la pensée du système, nous n’avons ni examiné l’influence qu’elle peut exercer sur le commerce des valeurs dans la sphère de la Bourse, ni passé en revue l’ensemble de ses opérations depuis qu’elle existe. Qu’il nous soit donc permis d’ajourner à l’achèvement de cet exposé les conclusions pratiques auxquelles doit nous conduire une appréciation complète de la société générale de Crédit mobilier.


EUGENE FORCADE.