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forges, de mines, de grandes fabrications, qui nécessitent un capital de 2, de 3 ou de 4 millions… C’est à des besoins, nous pourrions dire à des nécessités de cet ordre que répondraient plus particulièrement nos obligations à long terme. »

Une pareille destination donnée au produit des obligations est loin à nos yeux de fournir en leur faveur un victorieux argument. Elle justifierait au contraire une des principales critiques que nous ayons adressées au système du Crédit mobilier. En appliquant les ressources de ses emprunts à long terme à la commandite d’entreprises industrielles qui demandent des capitaux relativement peu considérables, telles que des forges ou des filatures, la société de Crédit mobilier s’abandonnerait à une de ses tendances qui nous paraissent le plus dangereuses : elle entrerait dans une voie qui la conduirait à dénaturer notre organisation industrielle et commerciale en la faisant passer du régime de la liberté et de la responsabilité au régime de la société anonyme. Si en effet l’argument de M. Isaac Pereire était fondé, il est clair que les émissions d’obligations ne devraient point avoir de limites ; des commandites de 2, 3 ou 4 millions absorberaient bien vite le produit d’une série d’obligations ; une centaine d’affaires de ce genre suffirait peut-être pour épuiser un capital égal à celui que procurerait à la société de Crédit mobilier le placement de tout l’emprunt que ses statuts actuels lui permettent de contracter. Mais si cette application des ressources commanditaires du Crédit mobilier répondait, comme le dit le rapport, à un besoin et à une nécessité de notre situation industrielle, qui ne voit qu’un pareil besoin et une pareille nécessité ne pourraient être satisfaits par la création d’une centaine d’affaires ? En mines, en forges, en filatures, en fabriques de draps et de tissus de lin, de coton, de soie, en constructions de machines, en entreprises d’arméniens maritimes, plus tard peut-être en exploitations agricoles, un horizon indéfini s’ouvrirait à la diffusion de la société anonyme. Si c’est un besoin et une nécessité de notre industrie, comme l’affirme le rapport, d’obtenir sous cette forme les concours des capitaux, la société de Crédit mobilier, se consacrant à une telle œuvre, serait bientôt à l’étroit dans son capital ; des augmentations successives de capital, suivies d’émissions décuples d’obligations, seraient nécessaires, jusqu’à ce que les diverses branches de notre industrie fussent réorganisées sur le principe de l’anonyme. On saisit donc toute la portée d’une telle direction donnée aux ressources de la société de Crédit mobilier. Le jour où elle s’engagerait dans cette voie, la société générale poserait devant les économistes, les juristes et les législateurs ces deux graves questions : convient-il de laisser appliquer la forme de la société anonyme aux entreprises auxquelles les ressources privées peuvent suffire, et dont la bonne conduite n’a semblé