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ou l’exécution. L’appréciation et la décision de ces questions mettent en jeu, pour chaque affaire nouvelle de commandite, les lumières personnelles, le jugement, la capacité, les intérêts, la conscience des directeurs de la banque de commandite, tous les élémens moraux, en un mot, qui entraînent avec eux, dans le cours ordinaire des choses, la responsabilité des actes. En outre, quelque puissante qu’on suppose une banque de commandite, elle ne peut pas suffire en même temps à tous les besoins et à toutes les demandes de crédit commanditaire : elle est obligée de choisir entre les affaires, de choisir entre les personnes, de choisir entre les époques ; mais si, en même temps qu’il lui serait impossible de satisfaire toutes les demandes du crédit commanditaire, elle paralysait et annulait l’industrie des banquiers ordinaires en décourageant toutes les concurrences ; si, ne pouvant pas faire toutes les affaires, elle empêchait toutes celles qu’elle ne ferait pas, — elle placerait les intérêts qui ont besoin du crédit commanditaire dans une situation plus mauvaise que celle où ils se trouvaient avant sa création. Sans doute ces intérêts ne peuvent jamais obtenir satisfaction tous à la fois et à d’égales conditions, mais du moins, sous le régime de la concurrence, ils n’ont point à subir la loi arbitraire, variable, exclusive d’un seul. La nature du crédit commanditaire ne se prête pas à la dispensation uniforme et égale à tous les besoins que donne le crédit commercial. C’est pour cette raison même qu’il serait imprudent et injuste de l’abandonner à un établissement unique et sans contre-poids. Sous le régime de la concurrence, chaque intérêt qui fait appel à la commandite peut au moins frapper à plusieurs portes avec l’espoir d’arriver par l’une ou l’autre à son rang et à son heure : le fair trial est la seule égalité à laquelle puissent aspirer les intérêts qui ont besoin du crédit commanditaire ; mais l’absorption de ce crédit dans un établissement aboutirait à un despotisme incompatible avec l’égalité puisque la dispensation du crédit, ne pouvant y être l’application d’une loi identique et invariable, serait soumise aux appréciations, aux intérêts, aux volontés arbitraires des directeurs de la banque. Il y a deux choses en effet qu’il ne faut point oublier : la première, c’est qu’en définitive la puissance de la banque deviendrait le pouvoir discrétionnaire de quelques hommes ; la seconde, c’est que — la commandite n’étant autre chose que la distribution des instrumens de travail à l’industrie, — une banque qui deviendrait l’organe suprême du crédit commanditaire dans un pays serait seule chargée de conférer les instrumens de travail aux divers intérêts, aux divers services aux divers groupes industriels, et ses directeurs rempliraient par conséquent la fonction la plus délicate et la plus puissante que comporte la direction des sociétés modernes.