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SIR ROBERT PEEL.

vivre en bons et honorables termes avec la chambre, que j’y sois en majorité ou en minorité. Dans aucune circonstance, quelque pressantes que puissent être ses difficultés, je ne conseillerai jamais à la couronne de renoncer à la force morale qu’elle puise dans une scrupuleuse fidélité aux principes et à la pratique, à l’esprit et à la lettre de la constitution du pays. Cette constitution veut, je pense, qu’après une loyale épreuve un cabinet ne persiste pas à conduire les affaires publiques contre l’opinion décidée de la majorité de la chambre des communes. C’est sous l’empire de cette conviction, profondément enracinée dans mon âme, que je quitte mon poste, en regrettant sincèrement la nécessité qui me contraint à abandonner en ce moment le service du roi. »

La chambre entière écoutait dans un silence plein d’émotion et d’estime. Lord John Russell se fit un devoir de déclarer que le ministre qui se retirait s’était conduit avec la plus honorable fidélité à l’esprit de la constitution, et après quatre mois d’une lutte, où le vaincu avait grandi bien plus, que les vainqueurs, le cabinet whig, sous la présidence de lord Melbourne, et sans le concours de lord Grey, ni de lord Spencer, ni de lord Brougham, reprit le gouvernement de l’Angleterre.

Il le garda six ans encore, et pendant ces six ans, sir Robert Peel garda aussi l’attitude qu’il avait adoptée après la réforme du parlement, décidé dans toutes les questions, actif dans tous les débats, critiquant sans ménagement le cabinet whig, défendant, contre lui et ses alliés, Irlandais ou radicaux, les principes permanens de la société et de la monarchie anglaise, mais ne cherchant ni à l’entraver ni à le renverser, et bien plus occupé d’étendre, d’éclairer, de discipliner le nouveau parti conservateur que pressé de prendre en main le pouvoir. Plus impatiens que lui, ses amis se plaignaient quelquefois de cette longanimité sans résultat et sans terme, et sir Robert crut devoir s’en expliquer publiquement. Une occasion naturelle se présenta. Peu après l’avènement de la reine Victoria, en mai 1838, jaloux de donner à leur chef un témoignage solennel de leur adhésion, et au public une éclatante manifestation de leur force, les membres conservateurs de la chambre des communes, au nombre de 313, offrirent à Peel, dans Merchant Tailors Hall, un grand dîner politique où devait en même temps se cimenter l’alliance, enfin déclarée, de lord Stanley et de sir James Graham avec sir Robert et son parti. Peel exposa nettement dans cette réunion sa politique et ses motifs, surtout les motifs de la réserve, en apparence si stérile, qu’il gardait dans une opposition pourtant si décidée. « Il y a, dit-il, quelque impatience parmi nous. Voyant la force que nous possédons, on regrette que nous n’en fassions pas un plus actif usage. La con-