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SIR ROBERT PEEL.

tutions conservent encore chez nous un pouvoir et un charme qui peuvent s’évanouir Bientôt, dans ce moment encore propice, dans cette heure de salut, prenez conseil, non des préjugés, non de l’esprit de parti, non du honteux orgueil d’une obstination fatale, mais de l’histoire, de la raison, des siècles passés, des redoutables symptômes de l’avenir. Rajeunissez l’état ; sauvez la propriété divisée contre elle-même ; sauvez la multitude livrée à ses ingouvernables passions ; sauvez l’aristocratie compromise par son pouvoir impopulaire ; sauvez la plus grande, la plus belle société, la plus admirablement civilisée qui ait jamais vécu, des calamités qui peuvent en quelques jours ravager ce riche héritage de tant de siècles de sagesse et de gloire. Le danger est immense ; le temps est court. Si ce bill doit être rejeté, je prie Dieu qu’aucun de ceux qui concourent à le faire rejeter ne regrette un jour amèrement et vainement son vote au milieu de la ruine des lois, de la confusion des rangs, de la spoliation des richesses et de la dissolution de l’ordre social. »

Ces sombres pronostics, ce puissant langage portaient quelque trouble dans l’âme de Peel. En général, quand il se trouvait en face de l’opinion populaire, il était plus enclin à s’en exagérer qu’à s’en dissimuler la force, et même en lui résistant il se flattait peu de la vaincre. À peine sorti d’ailleurs des embarras et des amertumes que lui avait fait subir l’émancipation des catholiques, il ne se sentait ni en état ni en goût de recommencer sitôt la même manœuvre, et de se faire encore une fois, au nom de la nécessité, l’exécuteur d’une politique qu’il avait longtemps combattue. Son vrai et intime désir était que la question de la réforme parlementaire fût vidée par ses adversaires, et qu’il pût rentrer en lutte avec eux dans une arène déblayée d’un si périlleux écueil. Près du terme de ce grand débat, il fut appelé à manifester clairement sa pensée. Triomphant dans la chambre des communes, le bill était près d’échouer dans la chambre des lords ; pour le faire passer, lord Grey demandait au roi la faculté de créer autant de pairs qu’il le jugerait nécessaire ; sinon, le cabinet whig se retirait. Guillaume IV accepta cette retraite, et entra en pourparlers avec les tories pour qu’ils reprissent le pouvoir, mais sous la condition d’acquitter la parole du roi envers le peuple en présentant un bill de réforme équivalent, pour les points essentiels, à celui des whigs. Plus hardi dans l’action et moins préoccupé des difficultés de situation ou de principes que sir Robert Peel, le duc de Wellington était prêt à accepter. Peel refusa : « On lui offrait, dit-il, le poste qui, dans la vie politique, est regardé comme l’objet le plus élevé de l’ambition ; mais lui, qui venait de combattre obstinément et dans son principe même le bill de réforme, pouvait-il se lever, comme ministre, pour recommander l’adoption d’une mesure sem-