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fût ajournée. Le 15 novembre, une proposition du chancelier de l’échiquier, pour la liste civile du nouveau règne, fut rejetée par 233 suffrages contre 204, et le lendemain 16, le duc de Wellington et M. Peel annoncèrent dans les deux chambres que le cabinet se retirait, et que le roi avait chargé lord Grey de former une administration.

Dans le public et parmi les vainqueurs eux-mêmes, plusieurs auraient voulu séparer M. Peel des vaincus et le gagner à la cause de la réforme. Il n’y était pas, disait-on, absolument contraire ; le duc de Wellington l’entraînait dans son égoïste entêtement, et la haine des ultra-tories ne lui pardonnait pas l’émancipation des catholiques. M. Peel repoussa toutes ces insinuations, et tomba sans hésiter avec ses collègues. Il ne se taisait pas cependant sur les causes de leur chute, et se préparait à ne se conduire désormais que selon sa propre pensée et pour le grand avenir qui lui était depuis si longtemps prédit : « Depuis un an, disait-il le lendemain même de sa retraite, le gouvernement trébuche et ne marche pas. Nous nous sommes aliéné les tories sans nous concilier les whigs. La chute du cabinet était infaillible. Le duc, par sa déclaration contre toute réforme, a accéléré la catastrophe. Le chef de l’administration ne doit jamais laisser pénétrer ses secrets. On peut tout faire, mais on ne peut pas tout dire. Supposez qu’un ministère soit opposé à toute réduction de taxes, on peut agir sur ce principe et ne point réduire les taxes ; mais qu’on le dise formellement une seule fois, le cabinet est renversé. Pour moi, ma conduite est tracée : je ne suis l’ennemi que des radicaux. Le gouvernement l’est également ; en cela, je le soutiendrai. Pour le reste, j’attends la profession de foi politique des ministres ; je saurai alors si je leur suis, ou non, opposé. »

V.

Il ne tarda guère à le savoir. Proposé le 1er mars 1831 par lord John Russell, le bill de réforme parlementaire, à travers de laborieuses complications et de violens orages, absorba pendant dix-sept mois, jusqu’à l’adoption définitive en août 1832, l’attention passionnée du public comme des chambres et durant tout ce temps, dans toutes les phases de cette grande lutte, M. Peel, devenu sir Robert Peel depuis la mort de son père, combattit sans relâche la mesure. Il la combattit comme née sous de mauvais auspices, comme excessive en soi et dénaturant la constitution du pays, comme soutenue par de mauvais moyens. C’était, dit-il, une réforme soulevée en Angleterre par le vent révolutionnaire venu de France, et