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« Bon Dieu ! s’écria Peel indigné, je ne discuterai certainement pas avec un homme qui peut mettre l’abandon des avantages d’une place quelconque en balance avec l’amer sacrifice que j’ai fait. » Et quand le débat toucha à sa fin, le cœur blessé de ce souvenir de Canning tant de fois évoqué contre lui : « Un mot encore, dit-il, et j’ai fini… Plusieurs des honorables membres m’ont prodigué, pour avoir enfin réglé cette grande question, des éloges que je ne mérite pas ; ce n’est pas à moi qu’en appartient l’honneur ; il appartient à M. Fox, à M. Grattan, à M. Plunkett, et à un illustre ami qui n’est plus… Je n’essaierai pas de cacher à la chambre les pénibles sentimens que m’ont causés dans ce débat tant d’amères allusions à sa mémoire… J’ai vécu avec M. Canning jusqu’au jour même de sa mort dans la plus affectueuse intimité, et, je le dis dans la pleine sincérité de mon cœur, plût à Dieu qu’il fût vivant pour recueillir la moisson qu’il a semée ! Je dirai de lui ce qu’il a dit un jour lui-même de feu M. Perceval : plût à Dieu qu’il fût ici et qu’il jouît au milieu de nous de sa victoire !

Tuque tuis armis, nos te poteremur, Achille[1]. »

Malgré les douleurs de la lutte, cette grande mesure heureusement accomplie laissa dans l’âme de M. Peel un profond sentiment de patriotique joie et de juste orgueil : « Je vois, dit-il peu de temps après, dans l’état de notre pays, les élémens, pour un avenir prochain, de la paix religieuse et de la prospérité nationale. Les hautes classes de la société marchent rapidement vers l’oubli des vieilles haines, et leur exemple se répand dans tout le grand corps social. Je déplore profondément la perte de cette confiance qu’une partie des membres de cette chambre ont retirée au gouvernement de sa majesté ; je prévois clairement les conséquences que peuvent entraîner les combinaisons des partis, et pourtant je ne saurais racheter leur confiance par l’expression d’un regret sur ce qui s’est passé. Je le dis sans aucun sentiment d’hostilité ou d’amertume : j’ai pleinement connu, dès le premier jour, les douloureux résultats que devait avoir pour moi, et personnellement et dans mon caractère public, l’émancipation des catholiques ; mais si les mêmes circonstances se reproduisaient, si j’avais de nouveau à ce sujet, et avec encore plus de réflexion et de sacrifice, une résolution à prendre, j’annoncerais ce soir même à la chambre une motion pour lui proposer cette mesure. »

Il proposa et mena à bien, durant la même époque, deux autres

  1. « Tu serais, Achille, en possession de tes armes, et nous en possession de toi. » (Ovide, Métamorphoses, XIII, 180.)