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SIR ROBERT PEEL.

encore été. Le duc d’York venait de mourir ; la cause du torisme anglican semblait très affaiblie. « Quelque vifs que soient mes regrets, dit M. Peel, en perdant de tels appuis, j’ai du moins cette consolation, qu’une occasion m’est donnée de montrer mon ferme attachement aux principes que j’ai adoptés ; si mes opinions sont impopulaires, j’y persiste cependant quand l’influence qui pouvait leur prêter force s’est évanouie, et quand il est, je crois, impossible de supposer que je les soutiens dans des vues de faveur ou de grandeur personnelle. » Ce langage ne rencontra pas une pleine confiance ; c’était au contraire une idée assez répandue que M. Peel, voyant M. Canning grandir de jour en jour dans le parti libéral, voulait, de son côté, s’assurer la forte adhésion des tories pour arriver un jour, par leur aide, à la tête du gouvernement. M. Canning, avec sa finesse éloquente, ne manqua pas d’exploiter contre son rival cette prévoyance soupçonneuse : « Mon honorable ami, dit-il, le secrétaire d’état de l’intérieur a dit qu’aux difficultés et aux troubles de l’Irlande il fallait opposer beaucoup de fermeté et de décision. La décision et la fermeté sont des qualités admirables, mais elles deviennent des vertus ou des vices selon l’emploi qu’on en fait. Je ne veux pas attribuer dans cette occasion à ces mots le sens défavorable qui semble en général s’y attacher ; si je le faisais, je ne porterais certes nulle envie à la main qui serait chargée de mettre en pratique un tel système. »

Quelles que fussent à ce moment les vues de M. Peel, un incident inattendu vint lui enlever toute chance de pouvoir ; le 18 février 1827, lord Liverpool fut frappé d’apoplexie ; il fallut chercher au cabinet un autre chef. On tâtonna pendant six semaines : s’arrêterait-on dans la voie nouvelle que M. Canning avait ouverte, ou s’y engagerait-on plus avant ? Roi, ministres et parlement, tories, whigs et indifférens, tous étaient perplexes, les uns pressés de résoudre la question à leur profit, les autres essayant de l’ajourner. Les tories auraient voulu donner à lord Liverpool le duc de Wellington pour successeur ; mais que le commandant en chef de l’armée devînt en même temps chef du gouvernement, les maximes constitutionnelles repoussaient cette idée. Dans la même matinée, le roi appela séparément, pour les consulter, le duc de Wellington, M. Peel et M. Canning. Au fond il détestait Wellington, comme on déteste un homme de qui on se sent méprisé et avec qui on est forcé de compter. M. Peel, qu’il estimait, lui plaisait peu ; il le trouvait dépourvu des manières de cour. Canning avait beaucoup gagné dans sa faveur. Aucun des trois ne tira le roi d’embarras. On proposa de laisser les ministres choisir eux-mêmes et entre eux leur chef, comme cela s’était pratiqué ou à peu près pour lord Liverpool ; mais c’était enle-