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SIR ROBERT PEEL.

et trouva dans l’opposition libérale la faveur qui lui manquait dans le parti du gouvernement. Par ses discours, par ses mesures, en reconnaissant les républiques de l’Amérique espagnole, en protestant avec éclat, bien que sans action, contre l’entrée de l’armée française en Espagne, il changea bientôt, plus tôt peut-être qu’il n’en eût eu envie s’il n’en avait pas eu besoin, la politique extérieure de l’Angleterre, et la fit passer du camp de la résistance et de l’ordre européen dans celui du mouvement et de la liberté. Il déployait en même temps dans les questions étrangères à son département, en matière de finances surtout, une étendue et une souplesse d’esprit, une facilité à tout comprendre et à tout embellir en l’exposant, une élégance et un éclat de talent qui, de jour en jour, relevaient plus haut dans le sentiment public, et faisaient de lui le chef réel de ce cabinet, au sein duquel il vivait comme un collègue péniblement subi et toléré.

Ce voisinage coûtait cher à M. Peel. Bien plus accrédité dans son parti et plus considéré en général que M. Canning, il n’avait ni, comme orateur, cette splendeur et cet entraînement, ni, comme homme, ce charme, cette séduction de caractère et de succès qui valaient à son rival l’admiration publique et des amis passionnés. On rendait justice à M. Peel, à sa capacité zélée et laborieuse, à sa solide connaissance des questions et des faits, à son jugement sûr et pratique ; on le regardait comme un excellent ministre de l’intérieur, mais on ne parlait plus de lui comme d’un chef nécessaire et prochain du gouvernement. Il ne descendait pas, mais M. Canning montait rapidement au-dessus de lui. Quelques personnes allaient jusqu’à croire que M. Peel acceptait lui-même ce fait et se résignait au second rang. On pouvait le dire, car, ni dans sa conduite, ni dans ses discours, rien ne trahissait de sa part la jalousie et l’humeur. Outre la rectitude et l’équité naturelles de son esprit, qui ne lui permettaient pas de méconnaître les mérites et les succès même d’un rival, il était d’une fierté susceptible et réservée, et n’avait garde d’engager par amour-propre des luttes douteuses, ou de se mettre en avant avec un empressement prématuré. Il subit dignement et modestement les désagrémens de sa situation à côté de M. Canning, blessé peut-être et attristé plus d’une fois dans son âme, mais contenu, patient et persévérant, comme il convient, sous un régime libre, à l’ambition honnête et sensée.

La dissolution du parlement en 1826 vint aggraver ses difficultés et ses ennuis. L’émancipation des catholiques fut, dans les élections, la question dominante, et passionna plus que jamais les esprits. Adversaires ou partisans de la mesure, tous s’y portèrent comme à une lutte décisive. Dans les attaques dont les Irlandais et le clergé ca-