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amis. Auprès de lui siégeait et grandissait à vue d’œil un rival plus brillant et plus populaire, M. Canning, qu’en 1822, après le suicide de lord Castlereagh, lord Liverpool avait appelé à sa place dans le cabinet, comme ministre des affaires étrangères. Ce choix ne s’était pas fait sans obstacle. Bien qu’entré d’abord dans les affaires sous le patronage de M. Pitt et au service de sa politique, M. Canning n’inspirait aux tories ardens et constans que peu de confiance. Esprit libre et mobile, plein d’élan et peu troublé des scrupules de principes ou de traditions, habile à démêler quelle part il fallait faire aux vœux libéraux du public pour gagner sa faveur, il était bien plus propre au mouvement qu’à la résistance, et le novateur flexible se laissait toujours entrevoir derrière le conservateur éloquent. Partisan déclaré d’ailleurs de l’émancipation des catholiques, il était, à ce titre seul, vivement repoussé par le torisme protestant. Le roi George IV le repoussait aussi avec antipathie pour avoir été l’un des favoris de la reine Caroline, sa femme, et pour n’avoir pas voulu plus tard se prêter au procès qui avait étalé les scandales du ménage royal. Lord Liverpool, convaincu que le cabinet ne pouvait se passer du talent et de l’influence de M. Canning, s’était efforcé, mais en vain, de le faire agréer au roi : « Je m’en charge, » lui dit le duc de Wellington, accoutumé à traiter George IV avec un respect rude et inflexible auquel le roi intimidé finissait toujours par céder. Il céda en effet, et M. Canning entra dans le cabinet, imposé aux tories par la nécessité, et au roi par le chef des tories, au nom de la nécessité.

Sa situation y fut difficile et désagréable. Le roi se vengeait de l’avoir subi en lui témoignant son mauvais vouloir. Il ne l’invitait point à sa cour, et ne consentait même à le voir que rarement, une ou deux fois par mois, quand les affaires l’exigeaient absolument. Les collègues de M. Canning ne se montraient guère envers lui plus gracieux ni plus confians ; ils contestaient ses propositions, s’appliquaient à entraver ou à énerver sa politique extérieure, et lui faisaient souvent sentir qu’il était, au milieu d’eux, isolé et suspect. Avec le duc de Wellington lui-même, qui l’avait fait accepter, ses relations n’étaient pas meilleures : c’étaient celles d’une reconnaissance obligée en face d’une protection un peu hautaine et d’une méfiance mutuelle. M. Canning ressentait vivement ces désagrémens et ces embarras ; mais il connaissait aussi sa force et savait en user. Adroit en même temps qu’indispensable, et aussi aimable dans la vie privée que puissant dans les débats publics, il prit de sa position incertaine un soin intelligent et assidu. Il avait des amis dévoués, quelques-uns bien en cour, et qui l’aidèrent à rentrer en bons termes avec le roi. Au sein du parlement et parmi le public, il chercha